Au revoir mes enfants
Né
à Port-au-Prince en 1986, fils de pasteur, poète, Néhémy Pierre-Dahomey ne ressemble pas à un débutant. Sa langue inspirée, mélodique, peuplée de mots rares parfois anciens et toujours justes, a la beauté du classique et s’impose immédiatement. Ce serait plutôt un grand lecteur, passé à l’acte romanesque au bon moment. Et au bon endroit. De Paris, où il suit des études de philosophie depuis quatre ans, il s’est replongé dans son île natale, au coeur de « la vie périuribaine sous les tropiques » , dans le quartier nommé Rapatriés, où ceux qui n’ont pu fuir Haïti en bateau échouent. Ainsi de son héroïne, Belliqueuse Loussaint, dite Belli. Son pas fier évoque les femmes droites face au pire des romans de Marie NDiaye. Le destin de cette mère de famille nombreuse, seule ou presque à la barre, est conté comme va la misère ordinaire, accompagnée de solidarité, de consolations charnelles et divines. Acculée, Belli abandonne ses deux dernières filles, Luciole et Belial. Cette dernière, un petit phénomène, a grandi sans prénom par… fatigue parentale, et s’en est choisi un toute seule, des plus sataniques ! Elle en change lors de son adoption par Pauline, une Française qui a donné un sens à sa vie en se jetant sur la « géopauvreté mondiale » . Loin d’un roman manichéen sur l’adoption, « Rapatriés » tend une passerelle vers cet au-delà haïtien afin de pénétrer ce qui échappe aux clichés, et même au dicible : la violence des situations, la détresse familiale, les soupirs et les rires, bref, un ensemble de « douleurs imperceptibles » – sans se priver d’ironiser, doucement. Néhémy PierreDahomey, voilà un nouveau nom à retenir
« Rapatriés », de Néhémy Pierre-Dahomey (Seuil, 192 p., 16 €).