Le Point

Guillaume Canet : « Je me fous de ce qu’on pense de moi »

L’acteur-réalisateu­r met en scène sa vie de couple avec Marion Cotillard dans « Rock’n’ roll ». Pour de vrai ?

- PAR MATHILDE CESBRON

Dans l’une des scènes de « Rock’n’ roll », le nouveau film de son compagnon, Guillaume Canet, Marion Cotillard rentre heureuse chez elle avec un nouveau césar. Heureuse, car du coup elle va enfin pouvoir caler une table basse avec une cale qui ressemble aux autres cales : ses trois autres césars. Dans le bureau de son Guillaume, il n’y a qu’un seul césar. Le prix du Meilleur Réalisateu­r reçu pour « Ne le dis à personne » (2007) trône à côté d’un trophée d’équitation et d’une photo des « Petits mouchoirs » (2010), son troisième film en tant que metteur en scène, et son plus grand succès populaire à ce jour (5,4 millions d’entrées). Jusque-là, tout allait bien pour l’élève modèle du cinéma français. Mais, en 2013, le premier de la classe connaît son premier échec. Et il est cuisant. « Blood Ties », le remake des « Liens du sang », long-métrage franco-américain aux 25 millions de dollars de budget, engrange seulement 240 000 entrées en France et tout juste 42 000 dollars de recettes aux Etats-Unis. Canet fait un burn-out et prend une année sabbatique pour faire du cheval. Et, lorsqu’il revient, il décide de laisser les drames à la Sautet et les thrillers élégants pour plonger dans une comédie corrosive et subversive : « Rock’n’ roll ». Le sujet ? Lui-même. Jouant son propre rôle d’acteur en pleine crise existentie­lle cherchant à casser son image de gendre idéal parce qu’une jeune comédienne lui a dit qu’il n’était pas très « rock’n’ roll ». Une autofictio­n exagérée, entre « Grosse fatigue », de Michel Blanc, ou « Le bal des actrices », de Maïwenn, qui épinglait ses collègues censées incarner leur propre rôle. Gonflé. Et cohérent. Dans « Mon idole » (2002), sa première réalisatio­n, il révélait déjà ce désir de gratter sous le vernis, de torpiller l’univers de ses personnage­s. Il va au bout de sa démarche avec « Rock’n’ roll », (dé)culotté, et réjouissan­t, où il se permet tout avec son avatar : se moquer de sa femme, de ses confrères, de Johnny Hallyday, de péter au lit, de faire une overdose et de s’infliger le pire pour rester jeune. Mieux que Narcisse, voici Guillaume Canet

Le Point : N’est-ce pas le comble du narcissism­e que de faire un longmétrag­e sur soi ?

Guillaume Canet : C’est là tout le propos du film ! Qui ne parle pas de soi aujourd’hui ? On porte une attention énorme à quelqu’un comme Kim Kardashian, qui est connue parce que sa mère a vendu la vidéo porno qu’elle a faite… Je parle d’une société qui se filme en permanence. Qui s’aime en permanence. Vous savez quoi ? Ceux qui me demandent de faire des selfies font la photo en faisant le point sur leur visage à eux ! Ce qui les intéresse, c’est eux. C’est pour ça que le film commence par moi en train de me regarder les couilles. C’est le paroxysme du narcissism­e, et j’assume !

Jusqu’à poster des moments apparemmen­t privés de votre vie sur Instagram pour assurer la promo du film ?

Cette histoire d’Instagram est partie d’une connerie. Dans le train, Marion dormait la bouche ouverte alors qu’elle venait de se maquiller. Je l’ ai photograph­iée et ça a pris des proportion­s dingues. Ce n’était pas un truc de promo, mais ça l’est devenu car ça sert totalement le propos de mon film : on s’est tellement permis de parler sur mon dos pendant des années que j’ai décidé que j’avais le droit, moi aussi, de parler de moi sans démêler le vrai du faux. Me montrer en photo en caleçon, ça m’amuse parce que je prends la décision de le faire. Les gens, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, se font une idée de notre vie. J’avais envie de casser l’image qu’on peut avoir du couple glamour et de dire aux gens : arrêtez de croire tout ce qu’ on vous raconte. Je me sers exactement des mêmes outils que ceux qui prétendent raconter ma vie.

« Je me sers exactement des mêmes outils que ceux qui prétendent raconter ma vie. »

Vous racontez en interview avoir fait un burn-out. L’utiliser comme un élément de storytelli­ng pour promouvoir un film, ce n’est pas abuser ?

Pas du tout ! C’est la réalité. C’est ce qui s’est passé. Je n’invente rien. Je n’aurais pas pu faire ce film si je n’avais pas vécu cette période de ma vie. Je ne vois pas en quoi on pourrait me le reprocher. C’est ça qui embête les journalist­es, de ne pas pouvoir démêler le vrai du faux, alors que, vous, vous ne faites que ça, mélanger le vrai et le faux !

Exposer ainsi vos fragilités, c’est une façon de les balayer ?

Je suis encore aujourd’hui en procès avec un paparazzi qui a voulu entrer chez moi le jour de la naissance de mon fils. Il m’a gâché le plus beau jour de ma vie. Alors, non, je n’exorcise pas mes fragilités, je dis simplement : puisque c’est ça qui vous intéresse autant, je vais vous le donner. Vous voulez absolument entrer dans mon quotidien ? Je vous ouvre la porte, mais je ne vais pas vous dire si j’ai changé les meubles. Je me fous de ce qu’on pense de moi.

La peur de vieillir, vous ne la ressentez pas ? Vous vous moquez aussi du jeunisme dans le monde du cinéma et des écrans…

On vit avec dix ans de retard par rapport aux Etats-Unis. Ce qui peut nous choquer ou nous outrer chez eux finit quand même par arriver en France : les acteurs qui font du sport à outrance et demandent contractue­llement qu’on procède à des retouches numériques pour enlever les rides à l’écran, ces actrices qui veulent retenir le temps et qui s’y figent…

Chez moi, il y a très peu de miroirs. Je n’aime pas me regarder. Les moments où je me sens le plus heureux, c’est quand j’écris un film ou quand je réalise, pas quand je dois parler de moi. Je ne lis jamais rien sur moi ou mes films. C’est peut-être un truc de survie… Je vois que mon fils fait la même chose. Il ne veut pas voir nos films. Il ne veut pas que des acteurs soient ses parents.

Comment vivez-vous le succès planétaire de Marion Cotillard ? C’est elle qui a réussi à Hollywood, pas vous…

Je n’ai jamais eu ce rêve américain. J’ai eu beaucoup de propositio­ns. Notamment comme réalisateu­r, mais je ne les ai jamais acceptées, car on me proposait des films où je devais arriver au dernier moment, où tout était déjà décidé pour moi, jusqu’au casting et aux décors. Ce n’est pas ma manière de travailler. Si je n’avais pas cette reconnaiss­ance que j’ai en France, alors, oui, je pense que psychologi­quement ça serait très compliqué de vivre avec une actrice comme Marion. Surtout quand j’apprends par la presse people que l’enfant qu’on attend n’est pas de moi mais de Brad Pitt !

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 ??  ?? Narcisse. Guillaume Canet et Marion Cotillard dans « Rock’ n’ roll » (en haut). Les photos de leur intimité postées sur Instagram ont beaucoup aidé à la promotion du film. « M. Cotillard » les voit comme un pied de nez à la presse people.
Narcisse. Guillaume Canet et Marion Cotillard dans « Rock’ n’ roll » (en haut). Les photos de leur intimité postées sur Instagram ont beaucoup aidé à la promotion du film. « M. Cotillard » les voit comme un pied de nez à la presse people.

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