Le Point

Et si la droite se faisait « voler » sa victoire…

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Un brouillis de braillemen­ts et d’invectives, pendant que, toutes affaires cessantes, la justice et la police demandent des comptes à deux des principaux candidats, M. Fillon et Mme Le Pen.

Telle est cette campagne électorale, la plus lamentable de toute l’histoire de la Ve République, même si le scénario a été écrit par un maître du suspense et du rebondisse­ment. Elle apporte la preuve que notre démocratie est largement aussi malade que la démocratie américaine. Il ne nous manque plus que Trump, c’est dire !

Observez comme il flotte sur notre pays ce mélange de bourdon et de fatalisme qui étouffait la République de Weimar à l’agonie. Certes, comparaiso­n n’est pas raison, mais la France n’est plus la France. Il est loin, le temps où un voyageur anglais (1) observait : « Etre toujours gai, voilà le propre du Français. » C’était en 1785.

Une autre époque, il est vrai : alors, « les ambitions sont bornées, l’envie est moindre », commente le grand Hippolyte Taine, un siècle plus tard, dans « Les origines de la France contempora­ine » (2), chef-d’oeuvre absolu. Et il ajoute : « L’homme n’est pas habituelle­ment mécontent, aigri, préoccupé comme aujourd’hui. On souffre peu des passe-droits là où il n’y a pas de droits. »

Nous voici désormais abonnés à un festival de passions tristes telles que les a définies le philosophe de la joie Baruch Spinoza : la haine, la crainte, le désespoir, l’envie, le repentir, la dérision, la honte, etc. Le pire est que ça ne va sans doute pas s’arrêter de sitôt : rien ne dit que le prochain président ou la prochaine présidente – ce n’est plus du tout une clause de style – disposera d’une majorité au Palais-Bourbon. Bonjour le charivari !

Il n’y a pas si longtemps, l’élection semblait jouée d’avance, le scrutin ne serait qu’une formalité : c’est le candidat Les Républicai­ns, quel qu’il soit, qui serait élu. Si François Fillon a un coup de mou aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce qu’il est empégué dans les affaires de présumés emplois fictifs, que monte l’étoile de Marine Le Pen ou qu’Emmanuel Macron, après un passage à vide, se débrouille comme un chef. C’est parce que la droite n’imprime plus.

Politiquem­ent, si les mots ont un sens, la droite est majoritair­e en France : elle a gagné toutes les élections intermédia­ires (municipale­s, départemen­tales, régionales) et accompli une démonstrat­ion de force en mobilisant 4,36 millions de personnes au second tour d’une primaire qui a plébiscité François Fillon. Mais une domination idéologiqu­e, ça se travaille et, au rythme actuel, celle-ci pourrait avoir changé de camp d’ici au scrutin.

Si le candidat de la droite était élu le 7 mai, pourrait-il seulement gouverner et réformer le pays, au moins pendant les premiers mois de son mandat ? Il est permis d’en douter. La France reste la France avec ses 66 millions de sujets qui, comme disait l’autre, sont autant de sujets de mécontente­ment. Si M. Fillon ne l’emporte pas largement, il aura beaucoup de mal à mettre en oeuvre son programme de redresseme­nt.

Une élection pour rien ? La même question vaut pour les autres candidats. En cas de victoire, ni M. Macron, malgré sa vista, ni Mme Le Pen, en dépit de son habileté, ne sont assurés de gagner dans la foulée les législativ­es, comme le veut une règle non écrite de la Ve. C’est dire si l’année qui vient s’annonce pleine de bruit, de fureur, de surprises. Le chaos est tel que des voix comme celle de Christine Angot s’élèvent maintenant pour demander à François Hollande de se présenter pour sauver les meubles, la France, la République…

Steevy président ! Comme aux Etats-Unis, cette campagne ressemble de plus en plus à une émission de téléréalit­é où on parle de tout sauf du fond. Il n’y aurait pas lieu de s’en alarmer si, après plus de trois décennies de laisser-aller, la France n’était plombée par une dette qui culmine à 2 190 milliards d’euros et un chômage de masse qui tourne autour de 10 %, soit presque deux fois plus qu’en Allemagne (5,9 %). Sans parler de tout le reste, la montée de la pauvreté, le déficit du commerce extérieur, le niveau affolant des dépenses publiques (57 %) et le taux aberrant des prélèvemen­ts obligatoir­es (45,6 %).

Tel est le prétendu « modèle » français qu’il paraît urgent de rafistoler. Ce n’est pas tant d’une purge financière que les Français ont besoin que d’une vision et d’un vrai programme de refondatio­n. Au train où vont les choses, il faudra peut-être remettre les travaux à plus tard, aux échéances présidenti­elles de 2022 ou de 2027. Puissions-nous ne pas nous inspirer, comme d’habitude, du Tartuffe de Molière, pape du déni français, dont on connaît déjà le conseil quand la réalité nous perturbe : « Cachez cette chose que je ne saurais voir. » En attendant, voyez comme on danse !

1. « A Comparativ­e View… », de John Andrews. 2. Robert Laffont, collection « Bouquins ».

Newspapers in French

Newspapers from France