Cinéma : la véritable histoire de Léon Morin
Après Melville, Nicolas Boukhrief adapte magnifiquement le roman de Béatrix Beck sur son amour pour un prêtre alors qu’elle était communiste. Il s’appelait l’abbé Peillet.
«C ette relation avec l’abbé, le temps qu’elle a duré, a compté essentiellement dans ma vie. Inconsciemment, peut-être que je recherchais Dieu. Je crois être allée vers lui poussée par le besoin d’une relation avec un homme, dont je pouvais espérer qu’il fût supérieur. En l’occurrence, sa force résidait dans le fait qu’il ne se laissait pas entraîner à la dérive par moi. » Voilà ce que nous confiait, en 1997 (1), Béatrix Beck, l’auteure de « Léon Morin, prêtre », disparue en 2008. Alors octogénaire, elle revenait en ces termes sur sa relation avec un prêtre, pendant la guerre de 1940, qui lui inspira le troisième roman de son cycle autobiographique. « Léon Morin, prêtre », paru chez Gallimard en 1952, valut à la dernière secrétaire d’André Gide le 50e prix Goncourt.
Après celle de Jean-Pierre Melville en 1961 avec Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva, puis celle de Pierre Boutron pour la télévision trente ans plus tard, avec Robin Renucci et Nicole Garcia sur un scénario d’Emmanuel Carrère (qui admire Béatrix Beck), l’adaptation de Nicolas Boukhrief réactualise magnifiquement ce « récit romancé » , comme le qualifiait Beck. « Le film de Melville a complètement occulté le roman, dont je suis reparti. Parce qu’il remet la spiritualité au centre du débat, sans faire de la religion un sujet honteux ou agressif, comme il l’est devenu à notre époque », explique le réalisateur de « Made in France », qui a écrit en même temps le scénario de l’enfer du djihad et celui de « La confession », où il filme au plus près des âmes, porté par la grâce qui habite ses deux acteurs, Romain Duris dans le rôle du prêtre et Marine Vacth dans celui de Barny (lire son portrait pages suivantes). « J’ai voulu raconter l’histoire d’un amour autrement » , dit-il encore (lire l’interview de Nicolas Boukhrief sur Lepoint.fr).
Un amour « autrement » ? Naum Szapiro, le mari de Béatrix Beck, était un juif apatride originaire de la Pologne russe. Elle l’avait rencontré aux Jeunesses communistes. Il est appelé au front et meurt en avril 1940. Seule avec leur petite fille, la jeune veuve, qui n’écrira son premier roman qu’après la guerre (« Barny », publié en 1948 chez Gallimard), trouve alors un emploi à Grenoble, dans une école par correspondance. C’est là qu’elle entend une employée parler de l’abbé Jules Albert Peillet, le vrai nom de Léon Morin. « Cette jeune fille assez délurée avait dit de son “directeur de conscience” qu’il était dur et ironique. J’ai eu envie de rencontrer un tel homme » , nous avait dit Béatrix Beck.
Le prêtre, né en 1914 (comme Beck) à Viriville, dans le Dauphiné, au sein d’une famille de paysans très religieuse, venait d’être nommé à la paroisse Saint-Louis de Grenoble, où, comme partout ailleurs, il laissa le souvenir d’un homme d’exception, très engagé sur le terrain, joyeux et doté d’un franc-parler parfois dérangeant. « Il fut l’un des premiers à avoir quitté la soutane pour l’habit de clergyman, raconte sa nièce, que nous avons contactée, et qui vit toujours dans le Dauphiné (voir notre dossier sur LePoint.fr), et aussi, dans le diocèse, à faire tailler par un ami sculpteur un autel de pierre face au peuple. Il débarrassait les églises de toutes les dorures, qu’il appelait “bondieuseries”, au risque de choquer parfois… »
« Je voyais l’abbé une fois par semaine. Je me suis rendu compte que j’étais éprise à la suite d’une de ses visites à la maison » , raconte Béatrix Beck, qui se convertit un jour de Pentecôte, sous l’influence du père Peillet, dont elle admire infiniment la proximité efficace avec les gens. C’est son charisme, son profond humanisme,
« Nous étions chez moi, dans la cuisine, silencieux. Le temps s’est arrêté. C’était la vie éternelle au présent. » Béatrix Beck