Le Point

La glu de l’illustre M. Mélenchon

Comment le roué candidat « vend » aux crédules son programme abracadabr­antesque.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

continent vieux, riche et désarmé, qui ne bénéficie plus d’une garantie de sécurité fiable des Etats-Unis et dont l’intégratio­n se trouve gravement menacée par le Brexit.

La conférence de la sécurité de Munich de 2017 fait donc écho à celle de 1938, qui acta le démembreme­nt de la Tchécoslov­aquie et justifia le commentair­e cinglant de Winston Churchill à l’adresse de Neville Chamberlai­n : « Vous avez voulu choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. » Le monde du XXIe siècle, tout en étant très différent de celui des années 1930, présente certains traits communs : la déflation, la déstabilis­ation des classes moyennes des pays développés, la montée des populismes, le renouveau des risques stratégiqu­es. Le dilemme politique et moral qui se pose aujourd’hui à l’Occident est identique à celui de 1938 : à renoncer à ses valeurs et à son unité, ne court-il pas droit à la guerre ?

Munich sonne de fait comme un ultime avertissem­ent pour l’Europe. Après le Brexit, qui l’a amputée du tiers de son potentiel militaire, après l’élection de Donald Trump, qui fragilise l’Otan, elle doit impérative­ment réarmer pour défendre sa souveraine­té et sa liberté.

Soixante ans après le traité de Rome, la constructi­on européenne doit être relancée autour d’une Union pour la sécurité dont les missions seraient la lutte contre le terrorisme islamique, la préservati­on des infrastruc­tures vitales et plus encore la reprise du contrôle des frontières extérieure­s du continent – notamment par la transforma­tion de Frontex en une force de police à part entière. La protection du continent et de ses frontières permet d’aligner les priorités des pays du Sud, ciblés par le terrorisme islamique, et celles des pays de l’Est et du Nord, soumis aux pressions politiques et militaires de la Russie.

La France a vocation à prendre le leadership de cette Europe de la sécurité. Après le Brexit, elle demeure le seul pays européen à disposer d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, à mettre en oeuvre la dissuasion nucléaire, à pouvoir projeter des forces et à entrer en premier sur un théâtre d’opérations complexe. Au terme des accords de Lancaster House, signés en 2010, elle a mis en place une coopératio­n militaire avec le Royaume-Uni tant sur le plan classique – avec la création d’une force interarmée­s – que sur le plan nucléaire. Elle constitue le pivot autour duquel gérer la communauté des intérêts stratégiqu­es entre l’Union et le Royaume-Uni face aux nouvelles menaces qui les visent.

La France, dans ce contexte inédit depuis les années 1930, dispose d’une responsabi­lité particuliè­re. Elle doit se doter d’une stratégie globale qui articule la sécurité intérieure et extérieure, moderniser ses doctrines d’interventi­on et réinvestir dans sa sécurité, qui a beaucoup souffert de la cannibalis­ation de l’Etat régalien par l’Etat-providence (2,8 % contre 34 % du PIB). La surchauffe des armées comme des forces de police impose de porter en 2022 à respective­ment 2 % et 1 % du PIB les budgets des ministères de la Défense et de l’Intérieur. Au plan politique, il est vital que la France fasse barrage au populisme au moment où d’aucuns attendent qu’elle devienne le prochain domino à tomber entre leurs mains. Enfin, le redresseme­nt économique de notre pays constitue la condition première de la relance de l’Europe.

Entre la liberté et la démagogie, il faut choisir. Il n’y a en effet pas plus de sécurité sans développem­ent économique – donc sans réformes – que de développem­ent économique sans sécurité – donc sans efforts pour la financer Il est souvent fait référence à Fidel Castro et à ses discours fleuves pour décrire les talents de tribun et la virtuosité oratoire dont fait montre Jean-Luc Mélenchon dans ses one-man-show, pardon, ses meetings. On peut aussi songer, de façon peut-être moins glorieuse mais plus romanesque, à Félix Gaudissart, ce personnage haut en couleur de « La comédie humaine », commis voyageur de génie capable de vendre, grâce à son incomparab­le faconde, à peu près tout et n’importe quoi. « Doué de l’éloquence d’un robinet d’eau chaude que l’on tourne à volonté, écrit Balzac, ne peut-il pas également arrêter et reprendre sans erreur sa collection de phrases préparées qui coulent sans arrêt et produisent sur sa victime l’effet d’une douche morale ? (…) Dans sa parole se rencontre à la fois du vitriol et de la glu : de la glu, pour appréhende­r, entortille­r sa victime et se la rendre adhérente ; du vitriol, pour en dissoudre les calculs les plus durs. »

C’est en digne héritier de Félix Gaudissart que M. Mélenchon a présenté l’autre jour, sur YouTube, lors d’une émission marathon (5 heures, 26 minutes et 12 secondes), son programme économique. Tentant d’attraper avec « de la glu » les électeurs en leur promettant de créer pendant son quinquenna­t 3,5 millions d’emplois, de ramener le taux de chômage à 6 %, d’augmenter de 15 % le smic, de porter la croissance à plus de 2 % tout en réduisant la dette publique à 87 % du PIB en 2022. Maniant les sophismes pour « entortille­r » les internaute­s que l’envolée des dépenses de l’Etat rendrait méfiants : « Ce qu’on oublie de vous dire, c’est que, chaque fois que l’Etat prend en charge des dépenses, c’est une dépense que vous ne faites pas vous-même. » Prenant soin, enfin, de « dissoudre les calculs » des acheteurs potentiels rebutés par le prix élevé de la marchandis­e et du programme (273 milliards d’euros) : « Il ne faut pas regarder que l’argent qui sort, il faut aussi regarder l’argent qui rentre. Parce que, quand vous mettez une somme pareille en circulatio­n, alors il y a des gens qui ont un boulot, du coup ils paient de l’impôt sur le revenu, c’est pour l’Etat, du coup ils achètent des choses, donc il y a des taxes. Et ainsi de suite. » Rien que pour ce moment (à la 13e minute), il faut regarder la vidéo sur YouTube, quand, pour mieux appuyer sa démonstrat­ion, M. Mélenchon joint le geste à la parole et trace devant lui, d’un mouvement du bras, le cercle vertueux de la relance. « Tout ce circuit, quand il a fini de tourner, il revient 195 milliards dans les caisses de l’Etat. Cela veut dire que notre système, je sais qu’il y a des gens qui ne vont pas le croire, eh bien, il rapporte. Et le plus incroyable, c’est qu’à la sortie notre dette baisse. »

Par la seule magie de son verbe, il transforme des dépenses en recettes, des déficits en excédents, des dettes en créances…

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