La bataille du jour d’après : les trois scénarios
Les législatives sont la grande inconnue de la présidentielle. Avec qui gouverneraient-ils ?
Après de cinquante jours du scrutin, la présidentielle demeure assez illisible mais, pire encore, les législatives des 11 et 18 juin sont indéchiffrables. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, rien ne garantit le président vainqueur de disposer d’une majorité claire à l’Assemblée nationale. La quadripartition de la vie politique avec l’émergence d’un bloc FN fort, d’une droite républicaine qui cherche un second souffle, d’une gauche affaiblie et décentrée, et d’un parti central hybride autour de la personnalité d’Emmanuel Macron, complique singulièrement la tâche de notre bon vieux mode de scrutin uninominal à deux tours. Il a rendu de grands services par le passé en dégageant des majorités claires. Mais, cette fois, quelque chose pourrait se gripper…
1- AUTOUR DE FILLON
L’ancien Premier ministre a comblé son retard et s’impose face à Marine Le Pen. Il sort de l’épreuve judiciaire sans doute affaibli, mais les urnes reflètent la droitisation effective du pays. La droite aux législatives peut réduire le FN et tenir bon dans ses bastions. En face, Macron éliminé, que restera-t-il de son mouvement En Marche ! ? Le risque, dans ce cas, est de subir le même sort que François Bayrou en 2007 : un beau score à la présiden- tielle (18,57 %), mais des candidats MoDem laminés aux législatives et, au bout du compte, pas de groupe à l’Assemblée nationale.
Le PS, éliminé dès le premier tour, entrera dans les convulsions d’une crise d’identité. La chasse aux hamonistes qui auront conduit à la déroute débutera dans une atmosphère de règlements de comptes sans nom. Manuel Valls entrera en piste pour s’imposer sur la gauche réformiste… Bref, un chemin de victoire s’ouvrira pour Les Républicains. « Si Fillon gagne, il aura une majorité UDI-LR » , assure ainsi le député Yves Jégo, un ancien UDI, soutien de Bruno Le Maire durant la primaire. Fillon, dans ce cas, aura rétabli une situation « imperdable » sur le papier il y a encore deux mois.
Restent toutefois quelques éléments d’incertitude : quel discours tenir pour le candidat Fillon lors de l’entre-deux-tours ? Face à Marine Le Pen, le candidat de la droite aura besoin des voix qui se seront déportées vers Macron et plus à gauche… François Fillon en a bien conscience. Il devra millimétrer son discours : ne pas trop en faire pour ne pas se lier les mains, mais ne pas sous-estimer la gauche, au risque de perdre des voix précieuses. Le Penelopegate vient ici compromettre l’efficacité du « front républicain ». François Fillon se réserve alors la possibilité de sortir une
« Un scénario de coalition à l’allemande, inédit sous la Ve République, peut très bien émerger. » Brice Teinturier, Ipsos
carte de sa manche : appeler Xavier Bertrand à le rejoindre à Matignon. Le président des Hauts-de-France, élu avec les voix de la gauche aux régionales, a su traiter avec les socialistes et s’attirer leur respect…
2- AUTOUR DE MACRON
C’est une révolution. Le jeune homme, inconnu au bataillon en 2014, remporte la présidentielle face à Marine Le Pen. Il renverse la dialectique droite-gauche qui a structuré si longtemps la vie politique. Pour certains, il est une sorte de « nouveau Giscard » (sans l’expérience du pouvoir de son aîné) pour d’autres un « opni » (objet politique non identifié) qui a su personnifier cette vieille aspiration du pays à l’union nationale. « Macron, c’est l’homme politique qu’aurait aimé être Alain Minc s’il avait été sympathique » , a coutume de plaisanter Pierre Moscovici, commissaire européen.
Macron président pousse son avantage et aligne 577 candidats sous l’étiquette En Marche ! au premier tour des législatives. Une machine de guerre visant à broyer le PS et à confiner Les Républicains dans l’opposition. Dans cette hypothèse, la défaite de Fillon, éliminé dès le premier tour, ouvre une crise à droite. « Il y aura une révolution de palais chez Les Républicains avec la prise de pouvoir des quinquas et une nuit des longs couteaux pour éliminer les derniers cheveux blancs » , anticipe un soutien de Nicolas Sarkozy. Qui mènera la campagne des législatives ? Si les Wauquiez et autres Baroin n’ont pas su s’entendre pour écarter Fillon de la candidature, on ne voit pas comment ils pourraient se départager en si peu de temps pour se ranger derrière un chef unique aux législatives… C’est ici que Nicolas Sarkozy pourrait surgir en « rempart contre le FN ». Car Marine Le Pen, de son côté, en pro- fiterait pour se renforcer dans ses bastions du Sud, du Nord et de l’Est…
En tout cas, il y a fort à parier que le vent du « dégagisme » soufflerait avec force 8 sur l’échelle de Beaufort… Parmi les candidats du jeune président Macron, on trouverait beaucoup d’inconnus issus du casting géant en cours dans les locaux d’En Marche ! et sans doute des ralliés du PS (la branche hollandiste), voire des centristes en mode survie. On sait déjà que de nombreux volontaires pro-Juppé l’ont rallié… L’élève de Paul Ricoeur a posé l’étalonnage de ses candidats : des élus sortants, mais aussi des personnalités de la société civile. L’étiquette En Marche ! et la photo d’Emmanuel Macron sur l’affiche suffira-t-elle à qualifier des inconnus face à des barons implantés ? « Je pense que oui pour l’avoir vécu, estime Julien Dray. Je suis issu de la vague des législatives de 1988. Je ne connaissais pas ma circonscription, qui votait PCF. J’ai mis mon nom, ma photo et celle de Mitterrand. Ça a suffi pour que je sois élu. »
Cependant, Macron peut aussi adopter une autre attitude : pratiquer l’ouverture dès les législatives en élargissant sa « majorité présidentielle » à qui entend respecter ses dix engagements de campagne. Ce serait assez raccord avec tout ce qu’il prône depuis un an… Il investirait sous l’étiquette « majorité présidentielle » des candidats LR, UDI, PS, en plus de ceux d’En Marche !, en passant des accords circonscription par circonscription. « Dans ce cas, il a prévu de se réserver 150 investitures, souffle son entourage. Pour le reste, il avisera en fonction du premier tour de la présidentielle en faisant de la place aux autres sensibilités. »
Autre scénario, il n’obtient pas assez de députés En Marche ! et doit composer, à l’Assemblée nationale, une coalition avec des députés recyclés issus de l’UDI et/ou du PS. Ce serait alors un
morceau de IVe République au sein de la Ve… « Ce n’est pas Macron qui est en marche, mais René Coty ! » plaisante-t-on à droite. « Il se peut aussi qu’on se retrouve avec une Chambre ingouvernable » , soupire Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI. Ce serait donc la première fois que le scrutin majoritaire à deux tours n’aurait pas réussi à bipolariser la vie politique.
3- LA CHAMBRE INGOUVERNABLE
Pour que le mode de scrutin fonctionne, il faut que l’une des quatre forces en présence (FN, LR, En Marche ! et PS) s’effondre aux législatives. Or les législatives peuvent paradoxalement rééquilibrer le balancier de la présidentielle. C’est souvent le cas. Si bien qu’un Macron élu peut très bien susciter une réaction du peuple de droite qui placerait l’alliance LR-UDI assez haut pour gêner le président Macron. Fillon aurait perdu, mais il aurait perdu seul. Pas la droite. Dans l’autre sens, la gauche peut très bien être massacrée à la présidentielle mais bénéficier d’un mouvement de balancier aux législatives, juste assez pour être le partenaire pivot incontournable avec très peu de députés… Paradoxal mais possible.
« En fait, ces législatives peuvent présenter tous les cas de figure au second tour selon les endroits du territoire, pointe Brice Teinturier, chez Ipsos. Des duels LR-PS, des duels LR-FN, des duels En Marche !/LR, des duels FN/En Marche !, des duels En Marche !/PS… Et des combinaisons encore plus complexes de triangulaires. Un scénario de coalition à l’allemande, inédit sous la Ve République, peut très bien émerger. » Une rupture culturelle impossible à exclure et qui bouleverse les habitudes du passé. Car enfin, à l’heure où ces lignes sont écrites, les deux candidats en tête des sondages sont issus de deux formations, le FN et En Marche !, qui n’ont jamais gouverné. La révolution politique a déjà commencé…
Le dernier scénario est celui du trumpisme : la victoire de Marine Le Pen… aux conséquences incalculables