Le Point

Manque de silence »

-

« Je n’ai rien à dire » , lance-t-elle d’entrée. J’étais prévenu : elle ne veut pas parler, surtout pas d’elle. Je ne suis pas son confesseur, mais remarquant que c’est comme ça que Barny engageait son dialogue avec le sien, Léon Morin, « je n’ai rien à confesser » , je me demande si c’est par déni ou par défi que Marine dit qu’elle n’a rien à me dire. Mais je me ravisai : elle a raison. D’interview il n’y eut pas. Mais un entretien, certaineme­nt, si l’on nomme ainsi un moment fait de silences et de regards, entrecoupé de paroles rares et de sourires discrets. Juste quelques mots, mais des mots justes, ça me convenait.

De ce silence il fallait bien parler. J’étais là pour ça, après tout. Dans « Jeune et jolie » comme dans « La confession » – et on sent que ce n’est pas pour lui déplaire –, Marine Vacth parle peu. Ou alors beaucoup, avec son corps intensémen­t en mouvement, son visage beau, dirait Baudelaire, « comme un rêve de pierre ».

A-t-elle trouvé dans sa propre histoire de quoi construire ce personnage de femme qui survit à un malheur à la fois collectif et personnel ? « Je ne me projette pas dans mes rôles, répond-elle après un long et lourd silence où je crois voir l’ombre d’un passé douloureux. Je travaille d’instinct. Par exemple, pour les scènes de vélo ou de marche, j’ai travaillé pour donner cette image dure, volontaire du personnage. Je suis entrée dans Barny par le corps, pas par les dialogues. »

Que lui apportent ses rôles ? « Ouvrir certaines portes en moi. Comme de lire des romans. Je ne sais pas. Une certaine conscience. Des portes, oui, des portes. Qui sont là, entrebâill­ées… Je ne vais pas vous raconter ma vie. J’aime lire. »

A-t-elle lu « Léon Morin, prêtre » ? « Oui, lu et relu. Ça m’a atteinte, au-delà d’une nécessaire immersion dans le personnage. »

La dimension homosexuel­le de la relation entre Barny et Sabine ? « Je ne sais pas si je comprends sa psychologi­e. Je ne me souviens pas bien, mais c’est très fort quand elle dit dans le roman : “Je me sentais dans ses bras comme dans l’ombre d’un palmier.” »

Pourrait-elle arrêter ce métier ? « Oui, sans doute. L’idée d’une carrière d’actrice m’effraie. Je ne suis pas plus moi sur un film que dans le mannequina­t. Je n’ai jamais rêvé d’être actrice. Je ne suis happée par un personnage que quand je suis sur un plateau. En tournage je suis entière dans mon rôle, toute la journée, tous les jours. Après, je rentre chez moi et je n’y pense plus du tout. Dès le soir même. »

A-t-elle le sentiment d’exister sous l’oeil de la caméra ? « On a tous besoin du regard des autres pour exister, mais je ne me sens dépendante d’aucun regard. »

Est-elle croyante ? « Non… Je ne sais pas. Probableme­nt… Aucune éducation religieuse… Peut-être que je crois en quelque chose qui me dépasse, mais je ne saurais pas le dire avec des mots. »

Qu’est-ce que le mal pour elle ? « Pour rester dans le sujet pour lequel on se rencontre, je dirais l’extrême rapidité de l’informatio­n. Le manque de temps. De silence. Il y a beaucoup de bruit. Trop de bruit. On ne s’entend plus. »

Elle semble en attente de quelque chose, mais de quoi ? D’elle-même ? Du sens de la vie ? A cette dernière question elle répond par un long et absolu silence. Même son « je ne sais pas » serait trop dire.

Difficile de faire le portrait d’un silence. Et pourtant, il y en a de si beaux, des silences. Profonds et pleins de nuances, de sauvagerie et de douceur mêlées. Pendant une petite heure, sombre énigme au visage si clair, Marine Vacth a été là. Absolument. Et pas là. Absolument. Les yeux dans les yeux, mais comme pour dire : circulez, il n’y a rien à voir ni à savoir. Alors, on regarde sa beauté, et on pense à cette phrase de Béatrix Beck à propos de Sabine Lévy : « Une virilité délicateme­nt féminisée. » Quelque chose non pas d’androgyne, réunissant en un les deux sexes, mais qui les abolirait tous deux : une beauté audelà du sexe.

« Rien à dire. » Après tout, pensais-je en la quittant, moi non plus, je n’avais rien à dire quand je détournais les yeux de la Gorgone ravissante et douce qui me faisait face. La beauté, dit Rilke, n’est que « le commenceme­nt du terrible ». Une belle femme ne vous rassure pas toujours contre les catastroph­es, aériennes ou autres. Elle peut vous changer en une pierre tombant sans fin dans le vide. La beauté d’une femme, comment la dire ? En baissant les yeux. En écrivant

« L’idée d’une carrière d’actrice m’effraie. »

Newspapers in French

Newspapers from France