Kurosawa : « C’est très réel, un fantôme »
Que de beaux spectres dans « Le secret de la chambre noire » !
Pourquoi le maître du polar fantastique et du thriller métaphysique, Kiyoshi Kurosawa ( « aucun lien avec le grand Akira, c’est un nom très répandu au Japon » , précise-t-il), fait-il aujourd’hui un film sur une famille française ? « Le secret de la chambre noire », situé en France et joué par des acteurs français et belge (Tahar Rahim, Constance Rousseau et Olivier Gourmet), reprend le thème de la mort dans la vie. Stéphane, ex-photographe de mode, exerce une emprise pathologique sur sa fille, après la mort de sa femme, et lui impose de longues et pénibles séances de pose. Jean, nouvel assistant, pénètre dans cet univers obscur et veut sauver Marie. L’amour est-il plus fort que la mort ? La lumière que les ténèbres ? Thèmes universels.
« La plupart des cinéastes japonais rêvent de faire un film en France. Pour moi, ce rêve est devenu réalité. Mais j’ai su très vite que je ne pouvais pas rendre compte de la réalité de la France d’aujourd’hui. Je ne suis pas français et je n’ai jamais vécu à Paris. J’ai utilisé un matériau français pour faire une fiction de portée universelle, j’espère. » A la fois thriller fantastique, conte philosophique et tragédie, c’est en effet du pur Kurosawa. Un film très japonais par ses cadrages, son rythme, sa direction
Une histoire qui n’implique ni victime ni agresseur, ni bien ni mal. Kurosawa fait le récit d’une destruction progressive de trois personnages motivés par la poursuite du bonheur et animés de désirs ordinaires, que des hasards malheureux conduisent à la catastrophe et au meurtre. Depuis « Charisma » (1999) et « Kaïro » (2001), il s’est imposé au premier rang des cinéastes de la peur, réalisant des chefs-d’oeuvre du film de genre : « Séance » (2004), « Loft » (2007) ou « Creepy » (2016). Pourquoi la mort violente, comme dans ses précédents films ? « Dans la société japonaise et dans la mythologie qui l’anime, il n’y a pas cette séparation occidentale claire entre les morts et les vivants. La mort n’est pas irréelle, c’est même une réalité très commune. Les morts sont parmi nous. »
A travers un prisme français, le cinéaste, qui a exposé le plus durement les secrets de l’âme japonaise et décrit les failles d’une société décomposée par la montée d’un individualisme sauvage, reprend ses obsessions : les morts et les vivants, la névrose, le sexe difficile, la solitude, l’obscurité, le meurtre, la folie. « J’espère ne pas avoir trop d’obsessions. J’essaie de varier les thèmes. Mais il semble que j’aie des thèmes de prédilection, en particulier la solitude. La solitude fondamentale de l’être humain. Le fait de constater que la solitude est très présente dans toutes les vies, que l’existence même est quelque chose de très solitaire… Je pense que ça ressort malgré moi à travers mes films. Chacun de mes personnages est muré dans sa solitude, et son action est le résultat de ses décisions et de ses désirs. Tous sont séparés les uns des autres par des fantasmes d’emprise ou de soumission. » Pourquoi encore une histoire de fantômes ? « C’est très réel, un fantôme. J’en croise tous les jours. Comme dans toutes les sociétés, le capitalisme mondialisé force les êtres à devenir des êtres vivants physiquement et morts psychiquement. Nous sommes forcés d’aliéner notre être profond dans l’image que nous devons donner : élèves à l’école, couples en conflit, chômeurs feignant d’avoir du travail, nous sommes condamnés à une certaine facticité et à devenir en quelque sorte les fantômes de nous-mêmes. »
En salles le 8 mars. Edité par Condor Entertainment, un coffret DVD rassemble dix films de Kiyoshi Kurosawa (dont « Seventh Code », inédit en France) et un guide de 30 pages sur son oeuvre.