Nedjar, l’homme aux poupées
Le LAM consacre une rétrospective à Michel Nedjar, grand maître de l’art brut, lancé par Dubuffet.
Dans l’atelier de Michel Nedjar, du sol au plafond, sont suspendus une foule de statuettes ou de masques chinés ou rapportés du monde entier. Mais aussi ses « poupées » , de puissantes silhouettes hypnotiques faites de tissu et de matériaux de récupération, et aux allures d’idoles primitives. « Ici, je ne vois rien, avoue-t-il pourtant. Ça fait partie de mon corps, c’est moi. Mon travail, je n’en prends conscience que quand il est à l’extérieur ! » Nombre de créations ont justement rejoint le chemin du LAM, à Villeneuve-d’Ascq, où une passionnante rétrospective lui est consacrée, où l’on voit aussi ses dessins, ses peintures et ses films expérimentaux. Né en 1947, fils de tailleur, Michel Nedjar apprend très tôt l’amour des vieux tissus et des objets chargés d’histoire, et crée ses premières poupées dès l’enfance. Mais c’est lors d’un long et éblouissant voyage au Mexique, en 1972, que tout bascule. Sur un marché, il rencontre une vieille femme dont les poupées pour les touristes lui rappellent celles de ses premières années. Révélation : « J’ai décidé de faire de la poupée une création plastique. » De retour à Paris, il s’y attelle, avec des tissus de fortune, mais aussi tout ce qui lui tombe sous la main. Jusqu’à du sang de cochon ou des boîtes de pizza… La magie des voyages s’y loge, mais aussi des émotions plus noires. « Je ne disais pas que je créais, mais que j’exhumais. » Ce qu’il libère ? D’abord un choc, à l’adolescence, quand sa mère lui fait regarder « Nuit et brouillard », d’Alain Resnais. « Je me suis identifié aux corps dans la fosse, pendant des années j’avais ces cadavres en moi. » Après une dépression à la fin des années 1970, d’autres deuils s’agrègent à cet effroi. Notamment la vague du sida, dans les années 1980. « C’était vraiment la peste. J’étais toutes les semaines au Père-Lachaise. » Des poupées de cette période, il explique qu’elles sont « non pas signées mais saignées » .
Mais elles vont lui offrir la voie de la reconnaissance. Grâce à Jean Dubuffet, qui lui demande des oeuvres pour sa collection d’art brut. Puis à Daniel Cordier, qui lui en achète une quarantaine, qu’il donne au Centre Pompidou. « J’ai été exposé parmi Chaissac, Dubuffet, du beau linge ! J’étais très heureux. Même si une conservatrice s’est inquiétée des mites qui pourraient venir – j’imaginais déjà mes poupées dévorer les Picasso… » Aujourd’hui, elles sont moins sombres, plus apaisées. Mais subjuguent tout autant