Giesbert s’en va-t-en « croiserie »
Des cathares à Saint Louis, de l’Inquisition au djihadisme, l’enquête truculente d’un romancier qui s’amuse – et met en garde…
Depuis qu’ils se sont installés sous un même bivouac pagano-spinoziste, Franz-le-Journaliste, Olivier-le-Mystique et Giesbert-le-Rabelaisien ont fini par préciser, ensemble, la nature de leur art romanesque : primo, écrire des livres profus et hilarants, afin de congédier (en apparence) une actualité aussi navrante que dévorante ; secundo, foncer, à l’estime, vers des épisodes majeurs du passé (la Révolution, les génocides du XXe siècle, les croisades, etc.) pour en rapporter quelques leçons à l’usage du temps présent ; tertio, choisir une héroïne intrépide, baiseuse, cuisinière ou arracheuse de dents, dont le destin aventureux, comme le fameux miroir de Stendhal, sera promené au long des routes de la Grande Histoire afin de refléter la plupart des tumultes dont nous sommes les héritiers. La recette est efficace. FOG le marmiton végétarien – quoique amateur de fresques sanglantes – s’amuse follement. Et son lecteur en fait autant.
Cette fois, l’héroïne, une certaine Tiphanie, est une charmante pâtissière du XIIIe siècle, tatouée, ardente, experte en gaufres, particulièrement apte à toutes sortes de fruitions, et qui va s’acoquiner pendant vingt ans avec les croisés d’un Louis IX bientôt saint. Elle pourra ainsi témoigner, au fil de la « croiserie » où elle les accompagne, de leur grandeur et de leurs massacres, ressusciter leur lexique imagé – de « giguedouille » à « huile de reins », de « mentements » ou « ost » au désormais classique et très giesbertien « faire la chosette »… – avant d’en tirer quelques hautes pensées sur la bêtise cruelle et concupiscente des hommes. Giesbert, de fait, est en pâmoison devant sa dulcinée alternativement puante et parfumée. « Tiphanie, c’est moi », pourrait même dire ce Franz-Gustave qui a écrit ce roman, comme Julien Green écrivait les siens, afin de découvrir ce qui va arriver à sa Belle d’amour. Il est vrai que FOG, sensible à certaines formes de servitude volontaire, a toujours eu un faible pour les aventurières joyeuses et vigoureuses. De Marseille à Jérusalem puis de Damiette à Saint-Jean-d’Acre, ce mâle gynophile ne va donc rien se refuser…
… Et tout, ici, lui fait ventre : les inquisiteurs et leurs bûchers, les « boutedieus » et leur Talmud, les mahométans et leurs cimeterres, l’amour courtois, l’alchimie et le « biscotage » des pucelles… Sans omettre la rouelle, les poisons, les eunuques, les nestoriens, les bourreaux, les arianistes, Joinville, les Alevis, Blanche de Castille, les Arméniens, les maronites, les templiers et tous leurs contemporains exhalant « le bouc et la mortaille ». Dans ce vrac jubilant, le lecteur s’instruit, voyage, s’esbaudit et médite – d’autant qu’une habile composition en abyme a tôt fait de rapatrier ces « revenants » vers un présent dramatiquement islamo-salafiste.
Quête et conquête. Sur le fond, la fresque humaniste de Giesbert, entée sur une époque où l’on n’avaitpasencoreinventélesétatsd’âmenilanovlangue progressiste, s’efforce de convoquer une évidence plus ou moins engloutie : les monothéismes – pour au moins deux d’entre eux – ne furent, ne sont et ne seront nobles qu’à leur déclin ; avant, au sommet de leur toute-puissance, ils ont le vice de la conquête. Comme si, alors, ils ne pouvaient s’empêcher d’être agressifs, odieux, violents, baptiseurs, décapiteurs. Ensuite, avec le temps, ça s’arrange un peu. Parfois
FOG a toujours eu un faible pour les aventurières joyeuses et vigoureuses. De Marseille à Jérusalem, ce mâle gynophile ne va donc rien se refuser…