Le Point

L’art et la manière

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

R ares sont les romans qui osent parler d’art contempora­in. Fait d’autant plus étrange que c’est un domaine des plus romanesque­s, tant s’y combattent le chic et le toc, le choc et le cash, le trash et la triche, mais aussi le beau et le bizarre, le « Sans titre » et la logorrhée explicativ­e, le pur instinct et la posture, le cirque et le vrai désir de changer le monde. Il y a tout cela dans le premier roman de Niña Weijers, qui a connu un vrai succès aux Pays-Bas, où elle est née il y a vingt-neuf ans. « Les conséquenc­es » s’intéressen­t à la vie d’une jeune artiste conceptuel­le nommée Minnie Panis dans l’Amsterdam d’aujourd’hui. Le roman s’ouvre sur une scène forte : l’artiste, comme hypnotisée par la lumière « qui teintait de bleu toutes les molécules de l’atmosphère », marche sur les canaux de la ville que le froid mois de février a transformé­s en glace, mais celle-ci, trop fine, se brise sous ses pieds. A peine a-t-elle le temps de regarder les platanes qu’elle tombe, battant des bras comiquemen­t. Sauf qu’il n’y a pas de platane à Amsterdam, et c’est un détail important. On est, peut-être, seulement dans une toile de Bruegel. Le reste du roman explore la même veine, étourdissa­nt le lecteur dans un tour de passepasse entre les choses de l’art et du réel. Et si c’était la même chose, comme le suggèrent les invités suprises du livre, les artistes Marina Abramovic et Sophie Calle, avec laquelle Minnie, artiste de la « disparitio­n », n’a pas peu à voir ?

Trop rares aussi sont les romans qui osent parler d’une femme artiste, alors que c’est là que le bât blesse, dans l’art aussi, et donc là-dessus qu’il faut écrire. Un absurde cliché est encore vivace, en effet, selon lequel les hommes créeraient parce qu’ils n’enfantent pas, les femmes ne créant donc qu’accessoire­ment. « Les conséquenc­es » dynamitent l’idée reçue et se donnent d’ailleurs aussi à lire comme la façon dont une femme réagit à la manipulati­on dont elle est la victime. Shootée pour Vogue, alors qu’elle dormait, par son petit ami photograph­e, ses petites fesses dévoilées par la nuisette remontée sur son dos, Minnie accède à la notoriété « à son corps défendant », expression qui va bientôt devenir constituti­ve de son art. On s’en voudrait de ne pas dire que ce premier roman tranchant et lumineux, dont Beckett est le vrai mentor, fait aussi la part belle à un « néonatalog­ue », autrement dit un spécialist­e des nouveau-nés, ce qui n’étonnera personne dans une histoire qui parle d’art, c’est-à-dire, aussi, de quête des origines

« Les conséquenc­es », de Niña Weijers, traduit du néerlandai­s par Sandrine Maufroy (Actes Sud, 352 p, 22,80 €).

« TROP RARES SONT LES ROMANS QUI OSENT PARLER D’UNE FEMME ARTISTE, ALORS QUE C’EST LÀ QUE LE BÂT BLESSE, ET DONC LÀ DESSUS QU’IL FAUT ÉCRIRE.

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Niña Weijers.

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