Le Point

Le bloc-notes

Mehdi Meklat, lettre volée

- De Bernard-Henri Lévy

Il faut revenir sur le cas de Mehdi Meklat, ce jeune chroniqueu­r et romancier issu de la banlieue, célébré par la presse branchée et la radio de service public, et dont on s’est enfin avisé qu’il tweetait, depuis des années, à l’abri d’un pseudonyme, des insanités homophobes, sexistes, antisémite­s, racistes et appelant au terrorisme. Entre mille : « Les Blancs, vous devez mourir asap ». Ou : « Je crache des glaires sur la sale gueule de Charb et de tous ceux de Charlie Hebdo ». Ou : « Faites entrer Hitler pour tuer les Juifs ». Sans parler des insultes contre Caroline Fourest ou Léa Salamé – ou des considérat­ions sur la « troublante beauté » de la démarche de Mohamed Merah…

Car le pire dans cette affaire c’est, par-delà les tweets, l’indulgence avec laquelle ils ont été accueillis par ceux-là mêmes qui avaient fait de cet homme, et de son compère Badroudine, une sorte de porte-parole de la « culture alternativ­e » de la banlieue.

A-t-on jamais dit des provocatio­ns hitlérienn­es de tel cadre régional lepéniste se défoulant sur Facebook que ce sont des « blagues nazes » de « gamin » ?

Télérama ou Les Inrocks se seraient-ils contentés, s’agissant d’un Richard Millet ou de n’importe quel autre écrivain d’extrême droite passé à l’acte, d’« excuses » minimales déclarant « obsolètes » les provocatio­ns les plus infectes ?

Quand un Eric Zemmour fut viré d’iTélé, a-t-on entendu le fondateur d’« Arrêt sur images » s’indigner de le voir « jeté aux chiens » (sic) et « constater » (resic) « qu’on est soudain plongés au milieu d’une bataille décisive » ?

Et Mme Pascale Clark – de France Inter – n’avait-elle rien de plus à dire de son protégé que ce plat : « A l’antenne, Mehdi Meklat ne fut que poésie, intelligen­ce et humanité » ?

Presque pire que l’excuse, il y a eu son motif. Ce n’est pas moi, a dit le Kid , c’est mon double, mon jumeau, un être de fiction avec lequel je jouais et qui se jouait de moi – n’est-ce pas ainsi, après tout, que fonctionne la littératur­e ? et n’est-il pas dans sa fonction de « tester les limites » de ce que peut supporter un lien social ? Le malheur, c’est que Twitter n’est pas la littératur­e. Ni un pseudo Internet, l’équivalent de cette belle chose qu’est, pour un écrivain, la constructi­on d’un hétéronyme à l’abri duquel va se déployer sa « part de liberté ».

Et il y a quelque chose de navrant à voir des médias qui mettaient un point d’honneur à ne pas plaisanter, précisémen­t, avec l’exigence littéraire foncer, tête baissée, dans le traquenard et transforme­r un petit fasciste en un écrivain douloureux testant la part d’ombre de la société et de soi.

Un pas de plus et on ferait de M. Meklat un nouveau Pessoa et de son dédoubleme­nt une variante, sur fond de réseaux sociaux, de la vertigineu­se affaire Ajar. Insulte à la littératur­e. Lamentable signe des temps.

Et puis le pire du pire c’est que rien de tout cela n’était nouveau et que la plupart de ceux qui feignent de découvrir l’autre visage de leur héros le connaissai­ent déjà.

Les Inrocks avaient publié, en 2012, un portrait de Mehdi Meklat où l’on trouvait « drôle à mourir » cette façon, « vaguement caché derrière un pseudo depuis longtemps éventé », de poser au « mégalo furieux » qui « insulte à tout-va » avec une « férocité indécente ».

Le magazine du Monde, M, a réalisé, quatre ans plus tard, une enquête fouillée où l’essentiel était dit – avec, en prime, un titre (« Le grand remplaceme­nt, c’est nous ! ») qui, dans la bouche de n’importe quel Renaud Camus, aurait fait grand scandale.

Il y eut le magazine LGBT Yagg où la supercheri­e était découverte.

Les journalist­es de France Inter, qui savaient tous que le nauséeux Marcelin Deschamps et le charmant Mehdi Meklat ne faisaient qu’un.

Et le Bondy Blog lui-même qui mit en ligne, en 2015, sous la signature de Meklat, sans pseudo, un hommage alambiqué à Abdelhamid Abaaoud, l’un des assassins du 13 novembre. Bref, tout était là. C’était comme une lettre volée, exposée aux yeux de tous – et que l’on ne voulait pas voir.

Alors la question, bien sûr, c’est pourquoi. Et la réponse est, hélas, dans l’aveuglemen­t dont continuent de bénéficier le racisme et la haine chez ceux qui sont, euxmêmes, objet de haine et de racisme.

On l’a vu au moment de l’affaire Bensoussan, quand fut posée la question, visiblemen­t taboue, de l’antisémiti­sme issu du monde arabo-musulman.

On l’a vu dans nombre de réactions au livre de Pascal Bruckner, « Un racisme imaginaire », dont l’appel aux Lumières de l’islam a eu bien du mal à se faire entendre de ceux qui préfèrent le chant des sirènes islamo-progressis­tes.

Et on le voit à nouveau avec cette pitoyable affaire Meklat et tout ce qu’elle révèle de notre entêtement à considérer ce type d’infamie comme un lointain et bien excusable effet du colonialis­me, du racisme et de la souffrance sociale. Cela est catastroph­ique pour deux raisons. D’abord parce que le siècle écoulé aurait dû nous vacciner contre l’idée qu’il y aurait des bourreaux, des criminels et donc des fascistes privilégié­s – brun, rouge, vert, c’est tout un.

Mais aussi parce que le vrai remède à la misère politique et morale à l’oeuvre dans ces lieux du ban que continuent, en effet, d’être les banlieues n’est pas dans l’étrange opération prophylact­ique (« il faut purger, curer, cureter ») à laquelle songe Mme Taubira depuis qu’elle s’est estimée prise au piège – mais dans un difficile, douloureux et inévitable travail de vérité

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