Le Point

Olivier Guez : voyages d’un Européen

En cette année décisive pour l’Europe, l’écrivain arpente le continent pour « Le Point ». Chaque étape donne lieu à un récit. Cette semaine, la Pologne et ses fantômes.

- SÉRIE PAR OLIVIER GUEZ*

Il y avait des grues, des camions et des pelleteuse­s, sous un ciel de béton, un ballet multicolor­e de casques et de chasubles autour du bâtiment spectacula­ire sorti de terre. Le musée le plus ambitieux jamais consacré à la Seconde Guerre mondiale poussait sur le delta de la Vistule. Il devait être inauguré ces prochaines semaines à Gdansk (Dantzig), où le conflit a commencé. Gdansk, le bastion de Solidarité, où les révolution­s démocratiq­ues d’Europe centrale et orientale ont débuté dans les années 1980. C’était en mars 2015. La Pologne affichait une croissance insolente et venait d’offrir à l’Europe postcommun­iste son premier président du Conseil européen, Donald Tusk. La Pologne s’affirmait sur la scène continenta­le comme un partenaire engagé, « un acteur d’une Europe fédérale » , avait déclaré à Berlin quatre ans plus tôt son ministre des Affaires étrangères. La Pologne semblait faire la paix avec son passé : Polin, un autre musée remarquabl­e sur l’histoire des juifs en Pologne, venait d’être inauguré. La Pologne était la success story de l’ancien bloc de l’Est.

Quelques mois avant ce séjour à Gdansk, j’avais rencontré Adam Michnik à Varsovie. Le plus célèbre des dissidents polonais dirigeait toujours la Gazeta wyborcza, le grand quotidien de centre gauche qu’il avait fondé sitôt la transition amorcée. Ce jour-là, Michnik se réjouissai­t des « transforma­tions inespérées : une démocratie relativeme­nt stable, un pays de plus en plus normal à la politique étrangère sage » . Il parlait de « miracle » mais mentionnai­t l’éventualit­é d’un « scénario à la hongroise » . J’avais néanmoins l’impression que Michnik ne croyait pas au retour au pouvoir du PiS, le parti Loi et justice de l’ancien Premier ministre Jaroslaw Kaczynski, « des clowns démagogues de la nouvelle droite » , avait dit Michnik. Libérale et conservatr­ice, la Plateforme civique, au pouvoir depuis presque dix ans, disposait de toutes les cartes pour remporter les élections de 2015 aisément.

Elle les a toutes perdues, la présidenti­elle comme les législativ­es, quelques mois plus tard. Le PiS gouverne depuis en disposant d’une majorité absolue à la Diète, une première dans l’histoire de la IIIe République fondée sur les décombres du régime communiste. Et le « scénario à la hongroise » est en cours de réalisatio­n : le nouveau gouverneme­nt, devenu l’allié de la Hongrie autoritair­e de Viktor Orban, bafoue régulièrem­ent l’Etat de droit.

Pendant la campagne, le PiS avait promis d’abaisser l’âge de la retraite et d’offrir chaque mois 500 zlotys (environ 120 euros) aux familles à partir de leur deuxième enfant. Il avait dénoncé les profiteurs de la transition, les traîtres inféodés à Bruxelles, Berlin et Moscou, et effrayé les campagnes en prédisant un déluge de « migrants musulmans porteurs de maladies jamais vues en Europe depuis des lustres » . Mais le PiS n’avait pas mentionné les mesures qu’il s’est empressé de prendre : la réforme du Tribunal constituti­onnel, dont les décisions sont désormais à la merci des interventi­ons de l’exécutif, la désignatio­n des responsabl­es des médias publics et le licencieme­nt de leurs prédécesse­urs, « qui manipulaie­nt l’opinion et cherchaien­t à démanteler la nation et l’Eglise » , la nomination des hauts fonctionna­ires, la loi qui autorise les services de renseignem­ent à surveiller les communicat­ions des citoyens sans l’accord préalable d’un juge. Les votes se sont déroulés de nuit, sans débat ni consultati­on d’experts indépendan­ts.

Blazer, pantalon de flanelle et cravate de bon aloi, Michal Sewerynski, 77 ans, est professeur de droit du travail à l’université de Lodz et sénateur indépendan­t proche du PiS. « Nous défendons le patriotism­e, les traditions, la mise en valeur de l’histoire polonaise et sa contributi­on à celle de l’Europe » , me dit Sewerynski dans son bureau, au Sénat, où l’on débat concomitam­ment d’une loi visant à limiter le droit de manifester. Sewerynski applaudit le programme social du PiS, « qui aide les personnes incapables d’affronter l’économie de marché, toutes les

« Les nationalis­tes polonais se comportent comme Staline vis-à-vis de Trotski et des grands révolution­naires de 1917 après la mort de Lénine. » Jozef Pinior, ancien député européen.

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