Les villas fantômes de Marrakech
A la place des villas de luxe promises, une friche… Le promoteur et le cabinet KPMG sont inquiétés.
Mauvaise passe pour les hommes du chiffre. Après la mise en cause du cabinet d’audit Mazars dans l’affaire William Saurin, c’est au tour d’un associé de chez KPMG France d’être convoqué au Pôle financier de Paris. Eric L., commissaire aux comptes, était le 2 février dans le bureau de la juge Patricia Simon. Face à lui, des plaignants qui l’accusent d’avoir couvert un truquage des comptes de la société marocaine Marprom, aujourd’hui en liquidation. Les promoteurs immobiliers Alain Crenn et Richard Hennessy, clients du cabinet KPMG depuis de nombreuses années, font l’objet d’une plainte pour escroquerie dans l’affaire du Samanah Country Club. Lancé en 2006, ce projet titanesque devait faire sortir de terre le plus beau complexe touristique de Marrakech, véritable oasis avec un golf 18 trous, plusieurs hôtels 5 étoiles et cinq cents villas de grand luxe nichées au pied de l’Atlas.
Dix ans plus tard, comme a pu le constater la juge, qui s’est rendue sur place, une partie du chantier est toujours en friche. Plusieurs dizaines d’acheteurs n’ont ni villa ni titre de propriété. Certains, c o mme Er i c Pe ug e o t e t de s membres de la famille Hennessy, ont préféré financer la fin des travaux sur leurs propres deniers plutôt que de voir leur nom mêlé à un scandale. D’autres, tel ce banquier luxembourgois en retraite, se sont constitués partie civile, s’estimant victimes d’un système à la Madoff. « L’argent des nouveaux entrants a servi à financer les maisons des premiers arrivés. Et quand les fonds sont venus à manquer, plutôt que de faire jouer la garantie contractuelle et nous rembourser une partie de notre mise, Alain Crenn et Richard Hennessy ont vendu en douce la société. Aujourd’hui, j’ai perdu plus de 400 000 euros et près de dix ans de ma vie », s’insurge Jean-Marie Demeure. Et d’exhiber une photo du tas de béton qui se dresse en lieu et place de la « villa 135 », acquise en 2007.
Au litige qui oppose les acquéreurs aux promoteurs se superpose une seconde bataille judiciaire. Gaël Paclot et son associé Daniel Boisson, spécialistes de la reprise d’entreprises en difficulté, pensent eux aussi avoir été trompés par Crenn et Hennessy au moment du rachat de Marprom, en 2011. Ils accusent les fondateurs de la société de leur avoir vendu une coquille vide et ont porté plainte, entre autres, pour « escroquerie », « faux et usage de faux » et « présentation de comptes non fidèles ». Une version que conteste Me Jourde, l’avocat de Richard Hennessy : « La vente s’est faite pour 1 euro symbolique après six mois de négociations. Il est évident que la société n’était pas au mieux de sa forme. Gaël Paclot ose demander des comptes alors que sa gestion désastreuse a aggravé la situation et que nous le soupçonnons d’avoir détourné une partie de l’argent. »
Confrontation. Au Maroc, où le Palais est très embarrassé par cette affaire, le tribunal de commerce de Marrakech est allé dans le sens des repreneurs. Pour les juges consulaires, le Samanah Country Club était en état de cessation des paiements dès le 1er décembre 2008, soit près de six ans avant qu’il ne soit officiellement déclaré en liquidation. Confirmée en appel, cette décision a conduit la juge Patricia Simon à confronter Richard Hennessy et son auditeur à Gaël Paclot et Daniel Boisson. Ces derniers, s’appuyant sur une série de mails, sont persuadés que KPMG France a certifié des comptes que KPMG Maroc considérait comme faux. « Il fallait dissimuler les ennuis de Marprom et protéger leur client parisien, le groupe Alain Crenn », avance leur avocate, Me Canu-Bernard. Ce à quoi la partie adverse rétorque que « les comptes étaient parfaitement exacts, ce dont la juge doit être persuadée, puisque ni le commissaire aux comptes ni Richard Hennessy n’ont été mis en examen ».
La magistrate parisienne n’a sans doute pas totalement tranché, puisqu’elle vient de faire nommer un expert qui analysera les centaines de pièces comptables d u do s s i e r. Po ur Je a n- Mari e Demeure et les autres parties civiles du dossier, la retraite dorée est encore loin…
Un système à la Madoff, où l’argent des nouveaux entrants a servi à financer les maisons des premiers.