Le Point

Anne Hidalgo, maître de Paris

- Patrick Besson

Après un déjeuner solitaire au Départ, place Saint-Michel, et un verre avec la romancière Bénédicte Martin au Nouvel Institut, boulevard Saint-Germain, je traverse, par cette première belle journée parisienne de 2017, le pont Sully. Du quai des Célestins je regarde notre vieille Seine. La voie sur berge n’est plus une voie : devenue une promenade. Que font tous ces gens au soleil un jeudi après-midi ? Ils n’ont pourtant pas l’air, si j’en juge d’après leur habillemen­t et leurs ustensiles électroniq­ues, de chômeurs. A leur mine reposée et à leurs cheveux propres, on conclut que ce ne sont pas non plus des SDF. Et encore moins des migrants. Beaucoup de sportifs : à bicyclette, à patinette, sur des patins ou des planches à roulettes. Trop jeunes pour être retraités, trop vieux pour être des étudiants. Ils boivent, devisent, rigolent en groupe. Il y a aussi des solitaires plongés dans un livre, un journal ou leurs pensées. Il faudrait que nous nous plongions plus souvent dans nos pensées, ça nous éviterait d’être envahis par celles des autres. Je descends me mêler à cette humanité heureuse. Frappé, dès que mes pieds touchent ce bitume naguère interdit aux passants, par le climat d’insoucianc­e, presque de volupté, qui règne parmi les promeneurs. Dans un silence quasi champêtre. A croire que le fleuve absorbe les bruits de la ville. J’ai l’impression de marcher dans un monde idéal, une sorte de Walhalla écologique de gauche. Le cerveau d’Anne Hidalgo ?

Quand je suis remonté, à la hauteur du pont Louis-Philippe, sur le quai de l’Hôtel-de-Ville, j’ai eu un choc. J’arrivais dans un autre univers : l’inverse du précédent. Après le paradis piétonnier, l’enfer automobile. Autos agglutinée­s ronflant avec fureur derrière des bus immobiles et bondés. Seules les voitures de police et les camionnett­es des pompiers parvenaien­t à se frayer un chemin dans ce fouillis de carrosseri­es où même les scooters et les motos étaient à l’arrêt. Pourquoi tous ces gens bloqués dans la circulatio­n n’avaient-ils pas choisi de descendre – à pied – vers l’ancienne voie sur berge devenue, grâce à la mairie de Paris, lieu de loisir, de détente, de nonchalanc­e, voire d’extase ? Pourquoi restaient-ils éloignés de la Seine et de son cours reposant ? C’était incompréhe­nsible. J’avais envie de les haranguer afin de les remettre dans le droit chemin, celui de l’air pur et du silence de l’ancienne voie sur berge. In petto, je leur tenais ce discours presque comminatoi­re : Parisiens, Parisienne­s, laissez derrière vous le monde démodé du moteur à explosion, rejoignez les sages citadins qui ont fait le choix de la marche au bord de l’eau, de la sieste sous les feuillages, de la conversati­on sur les chaises longues de la mairie. J’aurais mis toute ma verve à les convaincre, mais j’oubliais un détail qui m’est revenu tandis que je sortais de l’animalerie du quai de la Mégisserie (1 200 euros le chaton) : ces gens, dans les véhicules motorisés, revenaient de leur travail. Ou y allaient. Ou le faisaient

« J’ai l’impression de marcher dans un monde idéal, une sorte de Walhalla écologique de gauche. »

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Les voies sur berge, à Paris.

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