Halte à la gabegie scientifique !
Faire évaluer les unités de recherche tous les cinq ans : un rituel non seulement inutile mais honteusement coûteux.
N os
unités de recherche françaises sont évaluées tous les cinq ans par une structure nationale indépendante qui change de nom régulièrement ; elle s’appelle actuellement Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Ces évaluations n’ont quasiment aucune utilité puisqu’à la fin neuf unités de recherche sur dix – 87 % lors de la dernière vague – sont classées A, c’est-à-dire excellentes. Si tel est vraiment le cas, il n’était alors probablement pas nécessaire de les visiter. D’autant qu’on mobilise des forces considérables pour réaliser ces expertises. Chaque évaluation requiert une dizaine de scientifiques, souvent de qualité moyenne, car les très bons ont en général mieux à faire et n’ont pas le temps de s’adonner à cet exercice en plus de leur travail. Sans parler du temps qu’ils prennent aux membres de chaque unité lors de ces visites. Les pseudo-experts débarquent donc dans les labos pour deux jours. En additionnant les coûts – transport, repas, hébergement et émoluments perçus pour le temps passé à s’occuper des autres –, on arrive à une dépense par tête oscillant entre 1 000 et 2 000 euros. La facture finale est ahurissante. Par exemple, mon unité a été visitée par deux équipes du HCERES, soit vingt personnes, dont certaines sont même venues de l’étranger. Hormis l’un de mes amis, qui s’est surtout prêté au jeu pour me faire plaisir, la plupart des scientifiques missionnés avaient des performances moyennes, voire médiocres, en tout cas bien en deçà du niveau des treize premiers investigateurs de mon unité. Sans surprise, leur expertise s’est conclue par des recommandations banales qui ne changeront en rien l’avenir d’unités comme la mienne, dont l’importance scientifique est tellement évidente qu’on ne pourrait se passer de la contractualiser. Au total, pour les 100 unités de recherche évaluées cette année dans l’université où j’enseigne, on peut raisonnablement estimer que 1 000 experts ont consacré deux jours chacun à ces évaluations, soit deux mille jours perdus, pour un coût de 1 million d’euros au minimum. Pour une activité totalement inutile, la facture est salée et il faudrait la multiplier par 20, voire 30, si l’on voulait estimer le gaspillage à l’échelle de la France. Ce qui serait raisonnable ? Que tous les cinq ans les universités évaluent elles-mêmes leurs unités de recherche. Pour les membres partenaires, jauger la qualité scientifique de leurs publications est un jeu d’enfant. Ce serait même à la portée de n’importe quelle secrétaire en possession d’un ordinateur et capable d’accéder aux programmes de bibliométrie, qui permettent d’analyser l’activité scientifique.
Cette disproportion entre l’investissement consacré à l’évaluation par des inspecteurs des travaux finis et le niveau – faible – de productivité de la recherche en France pourrait peut-être s’expliquer par cette centralisation maladive. C’est une manie, en France, de passer son temps à contrôler les autres au lieu de travailler et de laisser travailler. Dans le domaine de la recherche, cela donne lieu à un tourisme scientifique rémunéré, totalement inutile, coûteux et, évidemment, unique au monde !
C’est une manie, en France, de contrôler les autres au lieu de travailler et de laisser travailler.