Son roman national
Il parle beaucoup d’économie, mais qu’en est-il de son rapport à l’identité française ?
Qui est Emmanuel Macron ? Où vont chercher ses racines idéologiques ? Pourquoi donne-t-il parfois le sentiment qu’il ne sait pas où va sa conviction ? On le dit contradictoire, ambigu. « Sans ressorts, sans références » (Christiane Taubira). L’historien des gauches Jacques Julliard pose le problème en ces termes : « Vous auriez eu les mêmes difficultés en voulant définir François Mitterrand. Il avait une culture d’extrême droite héritée de sa jeunesse et il soignait ses relations avec les trotskistes. Il était à l’aise autant avec Jean-Luc Mélenchon qu’avec la droite pétainiste. Mais, à la différence de Macron, Mitterrand avait une certaine idée de la France et de son terroir. » C’est un fait, cette campagne présidentielle montre un candidat plus à son aise sur les questions économiques, dont il se fait une idée claire. Liberté, protection, innovation, ouverture, responsabilité, souplesse… Autant de mots récurrents dans son lexique qui posent une vision de l’économie au XXIe siècle.
Seulement, au gré de ses discours, on constate que cette affirmation se fait moins vraie s’agissant de domaines qui relèvent de notre rapport au monde (géopolitique, défense, droits de l’homme…) ou de notre rapport à l’autre (laïcité, immigration, intégration…). On ne parle pas ici de ses propositions sur ces différents sujets, car il en a. Il se doit d’en avoir. On veut parler de l’idée profonde qu’il s’en fait, du degré d’importance qu’il leur confère et de la manière dont elle l’anime. Si, comme il l’affirme, « la politique, c’est mystique » , l’électeur est en droit de savoir quelles sont ces voix d’outre-tombe qui, outre Paul Ricoeur, lui murmurent à l’oreille. Car il est une partie de l’électorat qui attache grand prix à l’incarnation d’une idée, à sa généalogie et à l’inscription d’un discours dans l’Histoire. A moins que le candidat En Marche ! ne soit, comme l’écrit le directeur de la NRF, Michel Crépu, un « Jean-Jacques Servan-Schreiber du troisième type » qui veut rompre « le binôme droite-gauche au profit d’un nouvel éden sociétal » . Ou encore le Patrick Boucheron de la politique, du nom de l’auteur d’une « Histoire mondiale de la France », comme le prétend Alain Finkielkraut, qui ne pardonne pas
« Du baptême de Clovis au mur des Fédérés », Macron fait sienne toute l’histoire de France.
au candidat progressiste sa phrase sur « la culture en France », préférée à la culture française.
Macron livre néanmoins des éléments qui permettent de dessiner les contours d’un corpus doctrinal. Le primat de la société civile sur le politique, une certaine rigueur dans la gestion des finances publiques, le réformisme et un attachement à l’Europe le rapprochent politiquement et spirituellement du rocardisme, incarné aujourd’hui par le think-thank Terra Nova, présidé par Thierry Pech, la revue Esprit, longtemps dirigée par son ami le philosophe Olivier Mongin, ou encore « La République des idées », de Pierre Rosanvallon. On pourrait également citer Les Gracques, un groupe de réflexion fondé par de hauts fonctionnaires libéraux, anciens des cabinets socialistes. Ce qui le placerait donc à gauche. « C’est davantage un homme du centre, très flottant » , nuance Julliard, qui préfère le classer dans « la famille orléaniste, libéral politiquement et économiquement » .
De Gaulle et Mendès France. Le « pragmatisme » revendiqué d’Emmanuel Macron s’accompagne d’une véritable croyance dans les idées. Ancien assistant de Paul Ricoeur – tel qu’il se présente –, il n’ignore rien des grandes doctrines du passé. Il se prévaut d’être porteur d’une vision structurée et globale de la chose publique, ancrée dans une histoire, quand les politiques ne se concentrent plus, dit-il, que sur « les valeurs, c’est-à-dire sur un rapport beaucoup plus émotionnel aux choses et plus suiviste de l’opinion » (entretien avec 1 Hebdo). Cette vision qu’il porte ne serait « pas déconnectée » d’un passé, se défend-il, « sinon la modernité est hors sol » .
Récemment, à Reims, le candidat d’En Marche ! a prononcé le discours fondateur de sa définition de l’identité et de la culture. « Du baptême de Clovis au mur des Fédérés » , de Jeanne d’Arc aux luttes sociales, il fait sienne toute l’histoire de France, qu’il se refuse de compartimenter. La grandeur française doit autant, selon lui, à nos héros militaires, politiques et civils qu’à des apports extérieurs – « Soyons fiers de notre héritage commun, ce grand fleuve et ses affluents » . Ainsi va Macron : hommage aux soldats de l’An II et aux tirailleurs sénégalais. « Patriote » et européen. Orléans et la Silicon Valley. Progressiste et lecteur de François Mauriac. Libéral et thuriféraire de l’Etat. Partisan de la diversité et contempteur du multiculturalisme. Rocard et Chevènement – des deux il fut proche. Jamais politique ne s’était à ce point réclamé d’un héritage aussi large et de paradigmes aussi différents. Si on devait cependant isoler une période historique qui aurait valeur pour lui de référence, ce serait le siècle des Lumières. « Oui, le progressisme a ses héros, confiait-il au Point. Les philosophes des Lumières sont les héros du progressisme, qui commence avant la Révolution. » Contre ce qu’il appelle l’ « hégémonie culturelle de l’extrême droite » , Macron propose « un discours de foi dans la vocation universelle de la France, de confiance dans sa capacité à l’emporter dans ce XXIe siècle ». Des mots, diront certains. Il veut raviver l’universalisme français, qui doit partir non de l’Etat mais du génie individuel et se répandre, quand ses adversaires conservateurs lui op p o s e nt u ne ve r t i c a l i t é e t convoquent la mémoire. Pour Macron, le progrès est une voie linéaire et montante qui s’impose à tous. « Sky is the limit » , dit-il. Autant dans le programme du FN les traductions politiques de son nationalisme sont légion (préférence nationale, retour des frontières, sortie de l’euro…), autant on peine à voir dans celui de Macron ce qui relève réellement du progressisme. Quoi d’équivalent à l’abolition de la peine de mort, au pacs ou au mariage pour tous ?
Pour ne raidir personne, l’ancien ministre ne fait pas de la laïcité une composante majeure de l’identité nationale. « La laïcité est une liberté avant d’être un interdit » , prévient-il dans son livre « Révolution » (XO). Dans une même phrase, il peut faire son éloge et mettre en garde contre les entraves à la liberté. Un équilibre qu’il s’efforce de maintenir, conscient de la sensibilité du sujet.
Le candidat s’éloigne en réalité des attentes sociétales pour inaugurer un progressisme économique – non un libéralisme de gestion à la Fillon –, qui libérerait les individus de leurs pesanteurs statutaires et leur assurerait une mobilité, conditions de l’établissement d’un progressisme culturel. Pour lui, le travail, quel qu’il soit, est une entreprise qui permet la « fabrication » d’un homme nouveau, autonome, ouvert et créatif. C’est ce qu’il nomme un « processus d’émancipation continu et inachevé » . Le CDI à vie ne doit plus être l’ambition d’un jeune adulte. La rente ne peut être l’objectif d’un retraité. Macron se lance un défi de taille : sortir la France de la nostalgie et de l’héritage culturel des Trente Glorieuses pour inventer un nouvel âge d’or. Entreprise possible, selon lui, grâce à… l’intervention de l’Etat. S’il dénonce sa propension à contrôler et à réglementer, l’ancien chevènementiste, adepte d’un « pouvoir jupitérien » , fait de l’Etat le principal ordonnateur de cette société nouvelle. « Il s’agit, affirme-t-il dans “Révolution”, de permettre à la société de prendre des initiatives, d’expérimenter, de trouver des solutions appropriées. Le général de Gaulle, comme Pierre Mendès France, ont exprimé mieux que quiconque que la politique devait se confronter au réel. Je m’inscris dans cette parenté-là. » Encore une