Malika Sorel, l’intello de Fillon
L’auteure de « Décomposition française » est très présente dans la campagne du candidat. Explications.
Quand il sont vu sa frêle silhouette– qui aurait été discrète si elle n’ avait été enveloppée dans une veste carmin – se dessiner à l’arrière-plan, à la droite de François Fillon,l es parlementaires ont dégluti bruyamment. Pensez, cette « petite dame », comme ils disent, que les trois quarts ne connaissent pas, soudain propulsée au premier rang derrière le chef lors du débat télé, à l’une des deux seules places visibles parles téléspectateurs… Agaçant! Même N KM, malgré ses contorsions zélées, n’a pas réussi un tel exploit. Deux semaines avant le débat de TF1, certains avaient déjà écarquillé les yeux en découvrant… « comment vous dites ? Ah oui, Malika Sorel » à droite, toujours, du candidat, debout à la tribune du Trocadéro. Comment diable se débrouille cette personne même pas élue pour obtenir une telle exposition? Porte- parole involontaire des parlement aires dubitatifs et curieux, François Baroin – qui, tapi dans l’ombre de Fillon durant le débat, n’était visible que par sa chevelure –, a osé cette question lors du dernier comité politique : « Qui est cette dame qu’on installe toujours à côté de moi ? »
S’il avait lu le livre de son candidat, « Vaincre le totalitarisme islamique », l’ex-sarkozyste aurait peut-être fait des recherches sur cette « dame », citée page 111, et découvert son passé de membre du Haut Conseil à l’intégration sous Nicolas Sarkozy, ainsi que ses essais sur les questions d’immigra- tion et de laïcité, dont le dernier, « Décomposition française. Comment en est-on arrivé là ? » (Fayard) lui a valu le prix Honneur et patrie de la Société des membres de la Légion d’honneur. Une gratification reçue en juin 2016, et dont Malika Sorel parle encore en bombant le torse. Pour cette ingénieure de formation, née en France de parents algériens, la France n’est pas négociable. Quand ses parents décident de rentrer en Algérie, Malika Sorel, qui va sur ses 10 ans, vit ce départ comme un déracinement. « Je souffrais » , précise-t-elle sobrement.
Il faut dire que son père, malgré son engagement passé dans la guerre pour la libération de l’Algérie, qu’il a menée « avec le verbe et non avec les armes », en rédigeant des tracts, a mis un soin particulier à inculquer à ses enfants le respect du pays d’accueil. A la maison, on parle français, on écoute des chansons françaises. Bref, on s’abreuve d’une culture que l’essayiste considère aujourd’hui comme dévalori-
sée par nos élites et piétinée par une gauche avide de repentance et de relativisme culturel. « J’ai grandi à un moment où les parents issus de l’immigration n’avaient pas d’autre choix que de laisser leurs enfants s’intégrer » , assure-t-elle. Mais quand, à l’âge adulte, de retour en France, elle choisit d’obtenir la naturalisation française, cette fois c’est une autre affaire. Elle ne parvient pas à éviter la rupture avec une partie de sa famille. Pas de quoi pour autant lui faire regretter son choix. « La France, c’est ma vie » , clame-t-elle. Preuve de sa dévotion, elle a décliné sa première demande en mariage sous prétexte que le prétendant, allemand d’origine, lui promettait un avenir radieux… en Allemagne. C’est finalement à un ingénieur, lecteur assidu de livres historiques et amateur, comme elle, d’art français, qu’elle choisira de lier sa vie.
Après tous ces sacrifices, pas question de laisser qui que ce soit écorcher le moindre pan de l’identité française. Deux ans après les émeutes de 2005 en banlieue – son électrochoc à elle –, en pleine campagne présidentielle, elle prend la plume et adresse un manuscrit aux éditions Mille et une Nuits, où Georges Bensoussan a publié « Les territoires perdus de la République ». Elle ne digère plus les tentations communautaristes, refuse catégoriquement « l’approche ethno-raciale qui arrange les politiques qui courtisent le Conseil représentatif des associations noires et SOS Racisme » . Son expérience de l’école algérienne, où 40 gamins par classe n’empêchaient pas le maître d’exercer son autorité et les élèves de réussir, la conforte dans l’idée que le seul prisme qui vaille est celui de l’intégration. Idem pour la lunette socio-économique, qui paraît aveuglante à celle dont les origines modestes n’ont en rien freiné la réussite. Lancée tel un bulldozer à la Philippe Muray contre le « camp du bien » , elle veut également dénoncer ce qu’elle appelle une « opéra- tion de manipulation à la Orwell » qui consisterait à cacher à la population la gravité de la situation, le délitement du vivre-ensemble. Elle évoque pêle-mêle le voile et la culture de l’excuse à la mode en banlieue et s’alarme de la façon dont on laisse petit à petit la transmission culturelle, le « nerf de la guerre » , aux mains des « grands frères » et de la mosquée. « Son texte était bourré d’analyses profondes, se souvient son éditrice, Sandrine Palussière. Malheureusement, il n’a trouvé aucun écho pendant la campagne de 2007. La saturation était telle qu’il n’y avait pas d’espace. Puis, à l’automne, le livre a commencé à se vendre. Là, je viens de refaire un tirage, on continue à le réimprimer tous les ans. » Si « Le puzzle de l’intégration » continue à se vendre, c’est sans doute parce que Malika Sorel est parvenue à se saisir avec une certaine avance de l’ « insécurité culturelle » théorisée par le politologue issu de la gauche Laurent Bouvet. Et si, en 2007, Nicolas Sarkozy, sous l’influence de Patrick Buisson, avait senti ce phénomène, en 2017, François Fillon, cornaqué par le séna- teur Bruno Retailleau, a décidé d’en faire un élément clé de son discours libéral-conservateur.
Quand il écrit son opus sur le totalitarisme islamique durant l’été 2016, il n’a encore jamais rencontré Malika Sorel. Après un passage chez Dominique de Villepin, à qui elle reproche d’avoir voulu ériger la diversité en valeur cardinale, celle qui jure « vouloir parler avec tout le monde et se tenir à l’écart des logiques partisanes » attend qu’un candidat tienne des propos courageux sur l’école, la laïcité et l’immigration. Au Sénat, elle fréquente une proche de Retailleau, la sénatrice de Maine-etLoire Catherine Deroche, qui organise les présentations entre l’inconditionnel de Hannah Arendt et la passionnée de Tocqueville. Le président du groupe LR au Sénat a déjà lu Sorel et été interpellé, explique-t-il, par son combat pour le « droit d’un peuple à la continuité historique » . Il la juge « convaincante » et décide d’en toucher un mot à Fillon. « Je lui en ai parlé et je n’ai pas eu de retour, raconte-t-il. Puis j’ai découvert qu’il l’avait vue. »
« Pureté ». Depuis sa rencontre avec l’ex-Premier ministre, Malika Sorel lui adresse des notes sur l’école – beaucoup –, mais aussi sur l’intégration et la défense. De son propre aveu, elle le « bombarde » de SMS auxquels « il répond, y compris quand il est en déplacement » . Lui glisse-t-on que le Sarthois est pourtant réputé taiseux et avare en signes qu’elle s’émerveille davantage. L’essayiste cherche un « levier d’action » , comme elle dit, et elle a beau avoir essuyé des déceptions, elle reste persuadée que celui-ci se trouve du côté du pouvoir politique. « Elle est courageuse, elle ne dévie pas dans les débats, avance la directrice de la rédaction de Causeur, Elisabeth Lévy. Il y a chez elle une pureté des principes et des idées, peut-être trop pour la politique, qui est aussi un art du compromis. » Pour Sorel, aucun doute : Fillon mettra la société civile à l’honneur dans son gouvernement s’il est élu. Envisager que l’art du compromis, le risque de froisser les élus puissent en décider autrement ? Jamais
Elle l’avoue, elle « bombarde » Fillon de SMS auxquels « il répond, même en déplacement ».