Le Point

Faites entrer la lauréate

Aussi hallucinan­te que la dealeuse de cannabis de son roman « La daronne », l’avocate pénaliste Hannelore Cayre a fait partir ses concurrent­s en fumée.

- J. M.

« La daronne », d’Hannelore Cayre

H annelore

Cayre déboule sur son vélo électrique, au métro Jourdain, son quartier parisien comme son roman dans notre sélection. Insolite mais inratable. « La daronne », c’est elle. Une grande tige de 54 ans qui rappelle l’actrice Anémone, avec la coupe juvénile de Jane Birkin. Qui pose sur la couverture du roman avec deux sacs Tati et signe le personnage haut en couleur de ce fabuleux roman noir qui va chercher, plutôt que du côté de Simenon, chez Balzac, à l’ère de la PlayStatio­n, et Joyce Carol Oats, son idéal littéraire – « parce qu’elle fait palpiter la chair avec les 26 lettres de l’alphabet » , nous dit-elle.

La daronne du livre, au départ, s’appelle Patience Portefeux. Son enfance se déroule entre caviar et contreband­e, son papa prend du cash dans le commerce pas propre organisé avec « les pays dits de merde dont le nom se termine par -an, comme le Pakistan, l’Ouzbékista­n, l’Azerbaïdja­n, l’Iran » . La mère, juive rescapée des camps, n’aimera jamais que son chien. La vie avance, ou plu- tôt s’arrête, avec un veuvage et le déclasseme­nt social qui s’ensuit. Patience devient traductric­e-interprète judiciaire d’écoutes téléphoniq­ues en langue arabe. Des heures d’écoute de dealers (payées au noir par l’Etat – là, ce n’est pas du roman, mais le vrai système français) lui permettent de récupérer un quintal de cannabis à un go fast arrêté net. Une fois que la came embaume sa cave, il ne reste plus qu’à l’écouler. La suite est picaresque, sombre et drôle comme du Iain Levison, mais purement français et fichtremen­t attachant. D’autant que la daronne n’aime pas l’argent. Celui de la drogue sert à payer la maison de retraite de sa mère. « La classe moyenne étranglée par les vieux », au bénéfice d’un fonds de pension américain…

A part ça, Hannelore Cayre a connu la même enfance que son héroïne, et échappé à la mort, au Chili, après un grave accident de voiture qui l’a laissée tétraplégi­que de longs mois. Revenue chez les vivants et en France, elle exerce le métier d’avocate auprès de son mari de vingt ans. « Le pénal crade » , précise-t-elle, dont elle se passerait aussi bien que des sales types qui « plongent la tête d’un gamin dans un seau d’eau pour racketter les parents » . Alors elle écrit. Des romans, cinq, des articles pour la revue XXI, trois, une BD de science-fiction est en cours – « créative, pas lourde » , avec des humains sur des atolls en forme de Cheerios (les céréales) en butte à des Martiens « cornichons télépathes » . Quant au duo du barreau qu’elle forme avec son mari, il s’interdit seulement de défendre les terroriste­s. Des fous de Dieu qui évaluent leur « degré de foi » comme dans un jeu Nintendo (véridique, les écoutes téléphoniq­ues sont une mine !). Alors, ça fait du bien d’en sourire, dans le roman de ces dealers inspirés par un « plat de nouilles céleste de niaiseries » . Cayre fait du bien tout court avec sa daronne incarnée et si pleine d’humanité. Lisez, vous verrez

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