Scarlett Johansson, corps à l’ouvrage
Dans « Ghost In The Shell », adaptation d’un manga culte, l’actrice incarne un cyborg en quête d’identité.
«Puisque nos dieux et nos espoirs ne sont plus que scientifiques, pourquoi nos amours ne le deviendraient-ils pas également ? » C’est avec une citation de « L’Eve future » de Villiers de l’Isle-Adam que s’ouvrait « Ghost In The Shell 2 : Innocence », présenté en compétition à Cannes en 2004. Ce film d’animation de Mamoru Oshii avait sidéré les festivaliers par sa beauté plastique et son intrigue nébuleuse, bien dans l’esprit du manga cyberpunk de Shirow Masamune paru au début des années 1990, dont il était adapté. « Ghost In The Shell » met en scène Motoko Kusanagi, un cyborg femme doté d’une âme (« Ghost ») dans une enveloppe androïde (« Shell »), membre d’un groupe d’élite, la section 9, qui traque les cybercriminels. Dans l’adaptation cinématographique du manga, Scarlett Johansson joue ce cyborg de charme (renommé « le Major ») lancé à la poursuite d’un supposé terroriste. Egaré dans une ville-monde asiatique, où cohabitent toutes les ethnies, le Major est victime d’hallucinations qui le renvoient à sa vie antérieure, sur laquelle planent des zones d’ombre. Le film, assez réussi visuellement, est un curieux croisement entre « Blade Runner », pour la vieille antienne, inspirée par Philip K. Dick, sur ce qui différencie l’homme de la machine, « Total Recall », pour l’implantation de faux souvenirs, et les obsessions de Cronenberg pour l’hybridation corporelle. Comme dans « eXistenZ », les protagonistes de « Ghost In The Shell » ont des trous dans le dos sur lesquels se branchent des clés USB nouvelle génération ou dans lesquels se déversent drogues et fluides douteux. « Ghost In The Shell » vaut surtout pour le jeu de Scarlett Johansson, qui semble décidée depuis plusieurs films à regarder son corps comme un appendice distant, étranger, un objet à néantiser, à mutiler, à transformer à l’infini.
Posthumanisme. Dans « Under The Skin », elle était une extraterrestre insensible, incapable de satisfaire les désirs de son avatar humain ; dans « Lucy », de Luc Besson, son organisme, génétiquement modifié par l’ingestion d’une drogue, acquérait des pouvoirs illimités. Dans « Her », de Spike Jonze, elle était la voix d’une intelligence artificielle dont s’éprenait Joaquin Phoenix. Dans un entretien au site Collider, Scarlett Johansson confie avoir cherché, pour incarner le Major, à gommer « les tics et comportements qui nous définissent. Ces choses auxquelles on ne songe pas et que les acteurs utilisent pour donner vie à leurs personnages » . Interrogée sur l’absence d’érotisation du Major, elle répond que cette créature « est étrangère à sa propre sexualité. Elle a une conception si obscure de ce qu’elle est… Comment saurait-elle ce qu’elle aime ou qui elle aime ? » . Le corps du Major est spectaculairement manipulé, supplicié, désexualisé, bien que le film titille le spectateur au cours d’une scène où Scarlett Johansson caresse le corps d’une jeune femme qui n’a subi aucune mutation. Quête de l’identité, trouble dans le genre, fluidité du corps, Scarlett Johansson serait-elle la pionnière du posthumanisme dans le septième art ? Une interrogation qui rejoint la prophétie du philosophe Yves Michaud en conclusion d’« Histoire du corps » : « Le corps est devenu plus important que notre âme – il est devenu plus important que notre vie. »
« Ghost In The Shell », en salles le 29 mars. Le manga, par Shirow Masamune (Glénat, 352 p., 14,95 €).