Le Point

Dernières nouvelles de Scott Fitzgerald

« Je me tuerais pour vous », un recueil inédit paraît, hanté par la mort et la folie.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

En 2008, on avait exhumé sa pièce de théâtre (« Un légume »). En 2012, il avait été pléiadisé avant qu’on ne retrouve un livre d’entretiens (« Des livres et une Rolls »). Le phénix Fitzgerald (1895-1940) n’en finit pas de renaître de ses cendres. Mais, cette fois, l’écrivain aux débuts fulgurants, qui connut une longue agonie littéraire, renaît plus fort avec un recueil inédit dans un genre qu’il pratiqua toute sa vie : la nouvelle. Par quelle opération du saint-esprit fitzgerald­ien ?

En compilant sa correspond­ance avec son agent et les magazines, l’universita­ire Anne Margaret Daniel s’est aperçue qu’il était souvent question de textes jamais publiés ailleurs que dans ces revues. Elle est donc partie en chasse. Et voici le butin, 18 textes, presque tous rédigés dans les années 1930, alors qu’il écrivait, endetté, à son agent, Harold Ober : « Je suis dans la situation de l’homme qui tire de l’eau goutte à goutte parce qu’il a trop soif pour attendre que le puits se remplisse. » Les gouttes, ce sont les chèques, de plus en plus dérisoires, que les Saturday Evening Post et autres, qui l’ont payé d’abord royalement, lui consentent désormais pour des nouvelles jugées trop sombres. Le Fitzgerald léger, pétillant du Jazz Age et de « Gatsby » a vécu et on ne veut pas l’admettre. A l’égard du genre de la nouvelle, sa relation fut contrastée. Etranglé de dettes – la clinique psychiatri­que de Zelda, son épouse, la scolarité de leur enfant Scottie, ses propres frais –, Fitzgerald dénigra souvent ce filon salvateur mais dégradant. Ses dons en la matière étaient pourtant magistraux et il s’en servit aussi comme d’une filière et d’un laboratoir­e. La preuve avec ce recueil.

« Pouces levés » et « Rendez-vous chez le dentiste » proposent ainsi, autour du thème de la vengeance d’un sudiste torturé pendant la guerre de Sécession, deux fins pour la même histoire. Certains textes – « Chaussons de danse », « Une femme à la mer », « Les peines de l’amour » – sont aussi des synopsis qui trahissent le Fitzgerald plusieurs fois égaré dans les bureaux de Hollywood. Dans « Voyager ensemble », un scénariste envoie justement promener son pro- ducteur, qui ne veut plus de son script sur les hobos, ces vagabonds des trains de la Grande Dépression. Qu’importe : il a provoqué lors d’un périple de repérage assez de rencontres romanesque­s pour infléchir un travail qu’il ira proposer ailleurs. Corriger. Raturer. De fait, dans ces années 1930, Fitzgerald est devenu un véritable écrivain. Sauf que personne ne s’en aperçoit. Ses jeunes femmes s’avancent toujours comme un nuage planant : « Calamity avait une beauté étrangemen­t américaine. Avec une fierté particuliè­re, un peu comme la page Automne des calendrier­s qu’on accrochait dans les cuisines, mais avec des yeux bleus plutôt que marron pour le mois d’octobre. » Mais désormais, quand elles surgissent au bout d’une allée, d’un couloir d’hôpital ou sur un tournage, c’est dans la dernière ligne droite d’un héros déglingué. Même si le happy end, contrepoin­t dérisoire à la mélancolie, est souvent à la clé, Fitzgerald, hanté par le pressentim­ent de la fin, peuple ces nouvelles d’hommes en sursis, au bord de l’abîme (« Je me tuerais pour vous »), de l’infarctus (« Dans l’oeil du cyclone »), de la folie (« Cauchemar : fantaisie en noir »). Ces nouvelles, les plus abouties (ajoutons « Que comptez-vous y faire ? »), se détachent comme des vertiges saisis au-dessus du précipice. Des mains tendues dans la nuit d’un monde injuste où deux solitudes se raccrochen­t l’une à l’autre. L’auteur du « Dernier nabab » affirmait que le cinéma consistait à regarder un beau garçon faire des choses amusantes avec une jolie fille. Dans ces fantaisies en noir, la fille est toujours jolie, le garçon passableme­nt ravagé et les choses sont devenues graves

« Je me tuerais pour vous. Et autres nouvelles inédites », de Francis Scott Fitzgerald. Traduit par Marc Amfreville (Grasset/Fayard, 460 p., 23 €).

 ??  ?? Double crise. Fitzgerald devant des photos de Zelda, son épouse, en 1929. A cette période, l’écrivain connaît, lui aussi, des difficulté­s financière­s, dues en partie à l’internemen­t de Zelda.
Double crise. Fitzgerald devant des photos de Zelda, son épouse, en 1929. A cette période, l’écrivain connaît, lui aussi, des difficulté­s financière­s, dues en partie à l’internemen­t de Zelda.

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