Le Point

D’une mère

- PAR MARC LAMBRON

Philippe Labro avait une mère. Cela, nous dit-on, arrive à beaucoup de monde. En 2010, elle disparaît à l’âge de 99 ans. Netka laisse derrière elle trente-huit albums de clichés argentique­s constitués depuis les années 1930. Labro appartient à cet âge du monde où l’imaginaire des enfants a pu se fixer sur les photos de jeunesse de leurs parents. Il est aussi un écrivain journalist­e, membre de cette curieuse confrérie qui s’attarde parfois à décrypter la vie du monde pour différer le moment où l’on affrontera les mystères proches. Netka était un mystère. Elle prodiguait à chacun une bonté consolatri­ce sur fond de passé suturé. Il y a des mères narratrice­s et des mères que le passé retient de l’être. Qui était Netka ? Une jeune femme épousant dans sa première vingtaine un médecin quadragéna­ire, Jean Labro, pour lui donner quatre garçons en six ans ? Un visage frondeur et mélancoliq­ue sur des photos sépia ? Une mère fédératric­e qui répétait à ses enfants : « Voyezvous, ne cessez pas de vous voir » ?

« Ma mère, cette inconnue » est la stèle d’un secret. Mais, dès les premières pages, le secret est levé : Netka était ce qu’on appelait autrefois, de façon infamante, une bâtarde. Son père était un potentat polonais, le comte Henryk de Slizien. Entre deux voyages, il fait deux enfants à une institutri­ce française, Marie-Hélise. Puis l’Histoire l’emporte, enterré vivant en 1920 par la soldatesqu­e bolcheviqu­e qui a envahi la Biélorussi­e. Marie-Hélise, deux fois « mère célibatair­e », place Netka et son frère Henri dans des pensions à Genève et Versailles, mais ne les voit plus. Abandonnée, placée sous la tutelle d’une bienveilla­nte directrice de maison d’enfants, la mère du futur grand reporteur devient une jeune femme qui rêve de gloire littéraire en travaillan­t aux écritures dans un ministère. C’est alors qu’elle se marie, pour engendrer celui de ses fils qui en est aujourd’hui le biographe.

La vie de Netka ressemblai­t à une maxime : plus tu as été abandonné, plus tu aimeras. Elle lui forgea, sans jeu de mots, des résistance­s. Pendant la guerre, la maison des Labro devint à Montauban un lieu d’hébergemen­t clandestin de juifs en transit. Et, lorsque les parents Labro furent reconnus comme Justes parmi les nations, Netka eut ce seul commentair­e : « C’était normal, on les aimait. »

La jeune fille que fut notre mère demeure une inconnue. Philippe Labro, que l’on croyait du Potomac et qui est de la Vistule, a écrit pour la sienne un poignant « tombeau », ce genre littéraire ancien qui ennoblit de mémoire la beauté d’une vie « Ma mère, cette inconnue », de Philippe Labro (Gallimard, 182 p., 17 €).

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Philippe Labro

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