Notre petite fin du monde
Un jour qu’un témoin de Jéhovah frappait à sa porte, lui annonçant la prochaine fin du monde, Paul Léautaud répondit : « Il ne fallait pas vous déranger
pour si peu. » On se demande, ces jours-ci, si on peut se permettre de faire preuve du même sens de l’humour. Faut-il prendre au sérieux l’hypothèse d’un second tour Mélenchon-Le Pen ? Avec l’un ou l’autre, les conséquences seraient des balafres durables dans notre Histoire. Ils nous mèneraient par exemple tous deux à la sortie de l’euro à plus ou moins brève échéance, volontairement ou parce que la faillite de l’Etat nous en aura fait expulser. Avec Le Pen, nous n’échapperions pas, au surplus, à une forme de mise au ban des nations à cause de mesures ineptes sorties de l’imagination de ces éleveurs de boucémissaires. Le mot de cette campagne est peut-être « colère ». On la proclame, on la recycle. Certes, il y en a du ressentiment. Justifié parfois, avec tout de même un zeste d’excès dans la victimisation collective, quand on songe aux 170 pays moins bien classés que la France (21e) dans l’indice de développement humain de l’Onu. Et si l’énervement des Français se tempérait finalement dans les urnes ? Et si le burnout national ne se produisait pas ? Tout peut se terminer avec une majorité peut-être composite mais en tout cas pas déraisonnable. On peut même espérer, à l’issue de la grande clarification qui a eu lieu entre, d’un côté, les partisans de l’économie de marché et de l’Europe et, de l’autre, les zélateurs du « socialisme dans un seul pays », que la France connaisse une forme de printemps si ces derniers sont défaits. Nous aurons simplement appris au passage que notre destin est bien fragile. Benjamin Disraeli disait de la vie qu’elle était « trop courte pour être petite ». Pour le prochain président, ce mandat sera en tout cas trop court pour gouverner petitement