Editoriaux : Nicolas Baverez, Pierre-Antoine Delhommais, Didier Raoult
Le quinquennat se solde par un échec économique, mais plus encore par une défaite de la raison.
Comme
tous les Français, mais pas pour les mêmes raisons, les économistes ne sont pas près d’oublier le quinquennat de François Hollande : il va, pour de longues années, leur fournir de passionnants et inépuisables sujets de recherches et d’études. Identifier les causes d’un si remarquable échec, décrypter l’enchaînement des erreurs, expliquer l’inefficacité de la politique économique menée, comprendre pourquoi la France a aussi peu tiré profit d’un environnement exceptionnellement favorable, caractérisé par la faiblesse historique des taux d’intérêt, le recul de l’euro et la chute des cours du pétrole.
Les contre-performances de l’économie française finissent par être suffisamment connues de tous pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir trop longuement. Il suffit de rappeler que depuis 2014 la France enregistre une croissance annuelle inférieure à celle de la zone euro (1 % en moyenne, contre 1,6 %), alors qu’elle avait eu une croissance plus élevée au cours des cinq années précédentes. De rappeler aussi qu’entre mai 2012 et février 2017 le nombre de chômeurs a augmenté de 18,5 % en France, alors qu’il a baissé dans le même temps de 21,4 % dans l’ensemble de l’Union européenne. De rappeler enfin qu’avec un niveau de 3,4 % en 2016 la France affiche, derrière l’Espagne, le déficit public le plus élevé des 28 pays de l’Union et que depuis 2012 la dette publique française a augmenté de 8 points de PIB, quand celle de l’Allemagne a baissé de 12 points.
Moins souvent évoqué, le bilan apparaît tout aussi calamiteux en matière de compétitivité, dont François Hollande avait pourtant fait, avec la lutte contre le chômage, l’autre grande priorité économique de son mandat. Priorité symbolisée, dès son arrivée à l’Elysée, par la commande très médiatisée du fameux rapport Gallois et par la promesse insensée de ramener à zéro le déficit commercial de la France, hors énergie, en 2017.
Non seulement le trou ne s’est pas comblé, mais il se creuse de façon spectaculaire. La France vient d’enregistrer au mois de janvier le pire déficit commercial mensuel de toute son histoire : 8,1 milliards d’euros. Le précédent record de février 2012, 7,2 milliards d’euros, a été pulvérisé, permettant à François Hollande d’effacer des tablettes le nom de Nicolas Sarkozy.
Quant au solde du commerce en seuls produits manufacturés, il s’est détérioré de 9,3 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année 2016, à 35,1 milliards d’euros, dépassant largement le déficit historique de 29,3 milliards d’euros de 2011. Dans un point de vue au titre explicite publié sur le site Telos, « La compétitivité, un échec majeur de la présidence Hollande », Pierre-André Buigues, professeur à la Toulouse Business School, fait ce constat accablant et alarmant. Malgré la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du Crédit impôt recherche (CIR), malgré les allégements de charges du pacte de responsabilité, malgré le recul de l’euro face au dollar et la faiblesse du prix du pétrole, qui auraient dû favoriser les exportations françaises, « la France a fait beaucoup moins bien que ses
Moins souvent évoqué, le bilan apparaît tout aussi calamiteux en matière de compétitivité.
partenaires de la zone euro. La situation de son commerce extérieur et de son industrie s’est dégradée par rapport aux autres pays de la zone euro pendant ces cinq années. Entre 2012 et 2016, la production de l’industrie en volume pour l’ensemble de la zone euro a augmenté de 3,6 %, contre une quasi-stagnation en France, 0,5 % seulement. »
Croissance faible, chômage en hausse, compétitivité et production industrielle en rade, déficit commercial et dette publique à des sommets, il faut tout le sens de l’humour provocateur de Stéphane Le Foll pour affirmer comme il l’a fait l’autre jour : « La France d’aujourd’hui est en bien meilleur état que celle que nous avons trouvée en 2012. Les Français ne s’en sont pas rendu compte. »
Ils s’en sont si peu rendu compte qu’ils se laissent aujourd’hui séduire par des candidats qui rejettent, en bloc et en détail, l’Europe, les banques, les grandes entreprises, la BCE, l’économie de marché, le capitalisme, Mme Merkel, la finance, les profits, le libre-échange et le monde tel qu’il est. Qui, avec la naïveté touchante et les accents enflammés d’adolescents à la puberté compliquée, veulent « faire péter le système » . Qui prétendent s’affranchir de toutes les contraintes financières et extérieures, qui proposent d’emprunter des milliards d’euros pour engager de nouvelles dépenses mais en même temps claironnent leur intention de ne plus rembourser les dettes de l’Etat français.
Le grand débat télévisé présidentiel, qui fut surtout grand par le déni de la réalité économique qui s’y est exprimé pendant près de quatre heures, a illustré de façon aussi frappante qu’effrayante l’état d’extrême confusion mentale dans lequel se trouvent aujourd’hui le pays et presque tous ceux qui aspirent à le diriger. Plus encore que dans les statistiques catastrophiques du PIB, de Pôle emploi ou du commerce extérieur, l’échec économique du quinquennat de François Hollande se trouve là : dans cette défaite de la raison et dans cette perte totale de bon sens, dans cette infantilisation et cette « poutouisation » des esprits auxquelles les réseaux sociaux contribuent, il faut le dire, avec enthousiasme et efficacité. Il apparaît possible que l’élection présidentielle de la cinquième puissance mondiale voie s’affronter au second tour Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Cinq années de hollandisme ont plongé la France dans une crise aiguë de delirium oeconomicum