Le Point

Cinéma (« A mon âge je me cache encore pour fumer ») : thriller au hammam

Menacée de mort en Algérie, Rayhana Obermeyer adapte au grand écran un huis clos féminin électrisan­t. Coup de coeur !

- PAR VICTORIA GAIRIN

«Le silence, c’est la mort. Si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors, parle et meurs ! » De sa voix rocailleus­e de fumeuse de Gauloises, Rayhana Obermeyer lâche sa réplique comme un couperet. L’interroge-t-on sur les risques qu’elle prend que tombe, en réponse, l’implacable sentence du poète algérien Tahar Djaout, assassiné en 1993. La comédienne et dramaturge de 53 ans brandit les vers comme un talisman pour conjurer le mauvais sort. Sept ans ont passé et elle se réveille encore en sursaut la nuit.

Le 12 janvier 2010, alors qu’elle se rend à la Maison des métallos, à Paris, où se joue sa pièce « A mon âge je me cache encore pour fumer », Rayhana est aspergée d’essence par des agresseurs. Quelques jours auparavant, un homme l’avait traitée de « putain » et de « mécréante » au pied de l’immeuble où elle logeait, à Belleville. Ainsi donc, en France aussi, où elle vit comme réfugiée politique depuis 2009, on peut être brûlée vive pour avoir osé s’exprimer ? Elle a mis du temps à se relever, a publié un récit autobiogra­phique, « Le prix de la liberté » (Flammarion, 2011), avant de se laisser gagner par l’enthousias­me de la productric­e Michèle Ray-Gavras : il fallait aller plus loin, donner une portée plus grande à ce texte, l’adapter au cinéma.

Mais que raconte cette pièce – aujourd’hui un film – pour susciter l’ire de l’islam radical ? « Je donne la parole aux femmes, parle de sexe, de plaisir, de joies et de souffrance­s. Je parle de la vie, tout simplement. » Dans l’Alger des années de plomb, neuf femmes se retrouvent au hammam, loin du regard accusateur des hommes, loin de ces émigrés qui « partent en France imberbes et reviennent barbus » . Là, mère, amante, femme au foyer, institutri­ce, masseuse, étudiante, jeune intégriste, grand-mères peuvent échanger confidence­s, rêves et états d’âme. Il y a Samia, 29 ans et toujours vierge, qui rêve d’un émigré qui viendrait la libérer du joug de ses parents ; Louisa, mariée à 10 ans à un ami de son père de quarante ans son aîné ; Nadia, qui savoure son récent divorce ; Meriem, enceinte, qui essaie d’échapper à son intégriste de frère parti à ses trousses… Elles crient, pleurent, se

 ??  ?? Confidence­s. Dans l’intimité du hammam, enfin « libres » car loin des hommes, des femmes racontent leurs états d’âme.
Confidence­s. Dans l’intimité du hammam, enfin « libres » car loin des hommes, des femmes racontent leurs états d’âme.
 ??  ?? Audace. Avec « A mon âge je me cache encore pour fumer », la réalisatri­ce franco-algérienne s’évertue à défier les tabous.
Audace. Avec « A mon âge je me cache encore pour fumer », la réalisatri­ce franco-algérienne s’évertue à défier les tabous.

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