Olivier Guez : la mélancolie portugaise, rempart contre le national-populisme
En cette année de Brexit et d’élections décisives, l’écrivain arpente l’Europe pour « Le Point ». Cette semaine, il nous raconte comment le Portugal échappe à la tentation du repli qui gangrène le Vieux Continent.
Ici, l’air est plus doux que dans les autres métropoles européennes, la vie moins chère et les gens plus avenants. D’ailleurs, ils marchent différemment, les gens, plus lentement, nonchalamment, ils ne courent pas, ou alors c’est pour jouer avec leurs enfants dans un jardin à la végétation luxuriante ou dans les ruelles bossues du quartier de Graça. Aucun fourgon de police ne circule sirènes hurlantes, aucun militaire en armes ni salafiste à l’horizon ; personne ne fouille votre sac à l’entrée d’un grand magasin ou d’un musée.
Sitôt qu’on quitte le centre historique, colonisé par les touristes, les vendeurs de haschisch, les rentiers et les surfeurs français, la ville est désuète et merveilleuse. Les tramways, les gargotes et les cafés ont été conservés dans leur jus, comme à Vienne, et des galeries et des clubs éphémères en tout genre ont bourgeonné ces dernières années. Le rythme et la langueur, les reflets mauves du Tage au soleil plongeant dans l’océan : à Lisbonne, la vieille Europe tutoie l’Afrique et l’Amérique du Sud, et les vagues du grand large dessinées sur les trottoirs ondulent jusqu’à la plage de Copacabana, à Rio de Janeiro.
La circulation est fluide, les sept collines sont parées de fleurs et d’églises baroques assoupies, le printemps est revenu à Lisbonne. Le Portugal échappe aux convulsions du Vieux Continent. Etrangement, il n’est pas en colère, alors qu’il a beaucoup souffert, ces dernières années, d’une crise sévère et de plusieurs scandales politico-financiers, bien davantage que la plupart des pays européens. Après avoir longtemps vécu au-dessus de ses moyens, le Portugal a été mis sous tutelle au début de la décennie et soumis à une sévère cure d’austérité par la « Troïka » jusqu’en 2014. Les Portugais sont descendus dans la rue pour protester, comme les Grecs et les Espagnols, mais, depuis, leur trajectoire a bifurqué. Ils sont dirigés par un gouvernement minoritaire socialiste conduit par l’ancien maire de Lisbonne, Antonio Costa, et soutenu au Parlement par les communistes et la gauche radicale, lequel gère efficacement le pays. Mesures sociales, (timide) croissance et baisse du déficit font bon ménage, bien que la dette poursuive son inquiétante progression. Surtout, le Portugal est épargné par la gangrène de notre temps : le national-populisme. Aux élections législatives de 2015, le Parti national rénovateur, qui revendique « le Portugal aux Portugais » , n’a rassemblé que 0,5 % des suffrages.
J’ai commencé mon enquête en rendant visite à l’un des politologues le plus en vue du pays, Pedro Magalhães, à l’institut de sciences sociales de l’université de Lisbonne. « En Europe et aux Etats-Unis, les populistes ont du succès parce que de plus en plus de gens se sentent menacés économiquement et culturellement. Or, au Portugal, la société est encore homogène. Les immigrés, peu nombreux, viennent essentiellement des pays lusophones, du Brésil et de nos anciennes colonies africaines. Ils s’intègrent et peuvent trouver un emploi. Les musulmans du Mozambique ne sont pas intégristes et les migrants d’Afrique du Nord ne passent jamais par le Portugal » , dit Magalhães. Le marché du travail, à la fois flexible et très rigide, et sans grands avantages sociaux, fonctionne comme un rempart. « Les plus jeunes s’adaptent à la précarité ou quittent le pays, hélas ; les travailleurs plus âgés et moins qualifiés sont en revanche protégés. En général, cette catégorie est tentée par le populisme. Mais, au
« Il n’y a pas eu de surenchère populiste, explique Rui Tavares, et les partis institutionnels n’ont pas cherché à marginaliser les socialistes, comme Mélenchon en France et Podemos en Espagne. »