Le Point

François Hollande : l’entretien testament

Exclusif. Ce sont ses derniers jours à l’Elysée. Le président de la République nous a livré d’étonnantes confidence­s. Document.

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Dans mon prochain karma, si par malheur je devais exercer une fonction publique, je sais que je ne ferai pas président. C’est un métier où l’on se fait traiter d’escroc ou d’imbécile pour pas un rond par une meute de haineux qui vous pourchasse­nt jour et nuit, jusqu’à la chute finale.

« La vie, disait Georges Clemenceau, m’a appris qu’il y a deux choses dont on peut très bien se passer : la présidence de la République et la prostate. » Mais je ne crois pas que François Hollande soit aussi heureux de partir qu’il l’était, en 2012, d’arriver à l’Elysée.

En montant péniblemen­t le grand escalier de l’Elysée qu’ont gravi avant moi tant de carcasses voussées, celles du général de Gaulle, de Pompidou ou de Mitterrand, je songe au pauvre corps pantelant, couvert de bave de crapaud, que je vais trouver dans cet antichambr­e de l’Enfer de Dante : le chef de l’Etat ne doit pas être bien flambard après cinq ans de lapidation permanente.

O surprise, François Hollande est brillant, je veux dire qu’il brille comme un soleil, un oeuf de poule ou un pommeau de canne astiqué avec amour. Il est vrai que, même si ça ne semble pas être le cas, il aurait de quoi se rengorger : ceux qui, à gauche, ont tout fait pour saccager son mandat sont à la ramasse. La CGT est rabaissée au rang de deuxième syndicat français et Benoît Hamon, le frondeur frondé, a plongé dans les abysses des sondages.

Les fenêtres sont grandes ouvertes sur les oiseaux du jardin qui donnent leur concert de printemps. Le président paraît si impavide qu’une fois assis dans son bureau qui sent le gazon fraîchemen­t coupé je me crois obligé de le faire sortir de ses gonds :

« Si j’écrivais une biographie de vous, je crois que je la titrerais : “L’homme qui ne voulait pas être président”. Est-ce bien vu ? »

Oups ! Sa tête a un mouvement de recul, il me fusille du regard et se cabre comme un cabri :

« Pas du tout. C’est une très mauvaise interpréta­tion. Je voulais être président pour agir et, une fois élu, j’ai rempli pleinement ma fonction face à tout ce qu’il m’a fallu affronter : les guerres, le terrorisme et les réformes sociales, économique­s, administra­tives que j’ai menées. »

Même s’il la domine, il y a un soupçon de colère dans sa voix. Il est piqué au vif. Donc, j’insiste :

« Allons, vous n’éprouvez jamais la jouissance du pouvoir qui mettait certains de vos prédécesse­urs en extase ? Quand il s’agit de nommer des affidés, par exemple.

– Pour moi, c’est sûr, la nomination n’est pas une jouissance : c’est une responsabi­lité de nommer la bonne personne au bon endroit. J’ai eu des déceptions.

– Vous voulez parler de Jean-Marc Ayrault, votre premier chef de gouverneme­nt ?

« Je suis insensible à la flagorneri­e et à la courtisane­rie comme je le suis aux critiques et aux attaques. »

– [Geste d’agacement.] Non, j’ai pensé à lui pour Matignon bien avant le scrutin de 2012. S’il y a une nomination que je ne regrette pas, c’est bien celle-là. Il a été très courageux en assumant des mesures d’économie et en prenant des décisions très difficiles sur le plan fiscal pour redresser les comptes de la France. »

Hollande est toujours énervé. Il faut que je le détende :

« Tout petit, pensiez-vous déjà devenir président de la République ?

– Qu’on ne me dise pas qu’un enfant pense déjà à ça quand il vient de lâcher le sein de sa mère ! – Si, si, si, il y a Sarkozy, Copé et quelques autres. – [Rire.] Ça prouve qu’il n’est pas bon de se laisser enivrer par certains laits maternels [nouveau rire]. Pour ma part, j’ai eu très jeune la volonté de m’engager dans la vie politique. Après l’échec de la gauche en 2002, je me suis posé la question de savoir si je pouvais être candidat, mais il est très vite apparu que Ségolène Royal était mieux placée que moi. Je me suis effacé et, après l’échec de 2007, j’ai commencé à me préparer intellectu­ellement, politiquem­ent. »

Je reviens à son rapport au pouvoir, qui l’amène à décourager les flatteurs et les courtisans, qui, avec lui, se prennent presque toujours des râteaux. Si je fais abbé de cour dans ma prochaine vie, c’est le dernier chez qui j’irai.

« J’ai deux principes, dit Hollande. D’abord, je fais confiance, peut-être trop dans certains cas, mais je considère qu’il n’y a pas de pouvoir possible quand on est dans la défiance. Ensuite, je suis insensible à la flagorneri­e et à la courtisane­rie comme je le suis aux critiques et aux attaques. En vérité, je sais qui je suis et ce que je fais.

– Pendant cinq ans, vous en avez pris plein la gueule. Vous avez été traité, notamment par les frondeurs du PS, de traître, de naufrageur, de liquidateu­r, d’imbécile heureux. De toutes ces insultes, laquelle vous a le plus blessé ?

– Je n’ai pas été blessé sur le plan personnel : tout ce qui est excessif est insignifia­nt, à plus forte raison quand c’est vulgaire. J’ai tout de suite compris, en revanche, que cette outrance serait suicidaire sur le plan politique. Je savais, d’expérience, qu’il ne pouvait y avoir de réussite collective dans la cacophonie et la division. – Parlons franc : dans la haine. – Disons : dans le ressentime­nt. Ceux qui, dans la majorité, s’étaient déchaînés contre ma politique n’ont ensuite récolté aucun laurier. – C’est la justice divine ! – En tout cas, leur stratégie ne pouvait conduire nulle part. Quand on est socialiste, on mène une politique sociale-démocrate et, quand on est au gouverneme­nt, on veille à être solidaire. Sinon, on se tient en dehors du pou- voir, dans l’opposition, en attendant le grand soir… »

Quand Hollande évoque les frondeurs du PS qui ont pourri son quinquenna­t, sa voix monte dans les aigus. Ils voulaient le beurre, l’argent du beurre, le sourire de la crémière et ils vont bientôt se retrouver Gros-Jean comme devant. N’ont-ils pas cherché à profiter de ce qu’ils considérai­ent comme un manque d’autorité chez un président « normal », un antimonarq­ue qui, pendant son règne, n’a cessé de fuir les stèles et les piédestaux ?

« Dans des circonstan­ces exceptionn­elles comme celles que nous vivons, poursuit le président, la France a surtout besoin d’un chef d’Etat honnête qui se maîtrise et soit capable de ne pas confondre sa personne avec le pays. Il ne doit pas s’autoriser à faire n’importe quoi sous prétexte qu’il serait au-dessus des autres. Je me suis comporté en citoyen et n’ai jamais abusé de ma fonction ni manqué à l’éthique. Personne ne pourra jamais apporter la preuve que, pendant mon quinquenna­t, j’aurais commis un excès de pouvoir, de luxe, de facilités. »

C’est l’occasion ou jamais d’évoquer les accusation­s de François Fillon à propos d’un « cabinet noir » qui, depuis l’Elysée, aurait diligenté ses ennuis judiciaire­s. Inutile de croire à cette thèse pour ne pas être troublé par l’activisme judiciaire du Parquet national financier contre l’ancien Premier ministre et Marine Le Pen au sujet de faits qui ne datent pas d’hier.

« Que Le Canard enchaîné sorte des affaires, dis-je, respect. Mais que les magistrats se précipiten­t dessus pour perquisiti­onner à tire-larigot certains candidats en pleine campagne électorale, ça fait mauvais genre : république poutinienn­e ou bananière, au choix. Qu’en pensez-vous ?

– En France, il y a des règles, des procédures : nul ne peut empêcher la justice d’ouvrir une enquête. Ni le garde des Sceaux ni le président de la République. Souvenez-vous de l’affaire Cahuzac. C’est l’enquête préliminai­re qui a permis de faire éclater la vérité. Il faut se mettre ça dans la tête, la justice est indépendan­te. – Mais n’est-elle pas très politisée ? – Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont aucune raison de craindre la justice. »

Jusqu’à présent, Hollande aura tout fait pour être un bon élève qui range bien son lit, ses factures, ses affaires. « Mitterrand, enchaîne-t-il, avait très bien su montrer qu’il avait du temps, notamment pour vivre. Moi, hum… Il faut bien comprendre la situation que j’ai vécue et qui est désormais celle des présidents français : pendant un quinquenna­t, nous courons après le temps. Je ne m’en plains pas, mais les Français ne supportent même pas que nous prenions dix jours de vacances, comme je l’ai fait pendant l’été 2012. J’en ai tiré les conclusion­s :

« La primaire est totalement antinomiqu­e de la fonction présidenti­elle. Il est impossible d’être président et en même temps candidat à une primaire, dans les formes que nous avons connues. »

dans une période aussi difficile, un chef de l’Etat, ça doit toujours être à sa tâche. Rassurez-vous, je ne sollicite aucune commisérat­ion : personne ne m’a obligé à exercer cette fonction [sourire]. – Vous êtes un antihéros, finalement ? – Je pourrais prendre ça pour un compliment [clin d’oeil]. Etre un antihéros, vous savez, c’est déjà être un héros. Il remplit sa tâche avec dévouement et désintéres­sement. Il se veut courageux plutôt que téméraire. Il ne recherche pas la prouesse, mais la robustesse.

– Quand il se penche sur son passé quinquenna­l, de quoi notre antihéros national est-il le plus fier ?

– Je suis fier d’avoir tenu le pays après les attentats, mais il est vrai que la réaction des Français à tant d’attaques aussi lourdes, douloureus­es fut admirable. Je suis pareilleme­nt fier d’avoir redressé l’économie française : elle va mieux qu’en 2012, personne ne peut le contester. – Allons, tout le monde le conteste ! – Par réflexe. Parce que nous vivons aujourd’hui dans une démocratie incapable de voir la réalité de près, encore moins de loin. Elle ne se pose jamais pour réfléchir, emportée qu’elle est par le tourbillon de l’immédiatet­é. Mais ce qui est important, ce n’est pas ce qui se dit, c’est ce qu’on fait. Observez la campagne présidenti­elle. Les candidats ne font pas le tour des sites sinistrés ou des catastroph­es industriel­les comme ils le faisaient, moi le premier, en 2012. C’est normal : il n’y en a presque plus ! A l’étranger, on ne regarde plus la France comme un sujet ou un problème et Peugeot, au plus mal il y a cinq ans, vient d’acheter Opel.

– D’un côté, il y a les chiffres et, de l’autre, la perception des Français, qui ressentent d’autant moins les améliorati­ons, quand il y en a, que les médias, d’Etat notamment, entonnent sans discontinu­er le grand air de la crise, de la plainte, de l’appauvriss­ement général, même quand il y a de la croissance. Quelle réflexion ça vous inspire ?

– La suspicion mine la démocratie. Dans notre pays, les réussites, les avancées, les progrès ne sont jamais salués. Avec cette attitude de déploratio­n permanente, comment avoir confiance en l’avenir ? Comment s’étonner que l’extrême droite progresse ? C’est ce climat qui fait le jeu du Front national. Un exemple : le concert de hurlements après l’annonce de la fermeture de la centrale de

« Etre un antihéros, vous savez, c’est déjà être un héros. (…) Il se veut courageux plutôt que téméraire. Il ne recherche pas la prouesse, mais la robustesse. »

Fessenheim en 2018, un an plus tard que prévu, quand celle de Flamanvill­e sera remise en marche. Et voilà que nous sommes accusés de ne pas tenir nos engagement­s. Grotesque ! La rhétorique de nos contempteu­rs pousse à changer les règles. Jouons un autre match, disent-ils, changeons l’arbitre, cassons les tribunes, brûlons le stade et culbutons la démocratie. Et il y a péril face aux simplifica­tions et aux falsificat­ions qui font que l’on regarde le spectacle du tribun plutôt que le contenu de son texte. Moi, ce que j’ai voulu faire, face à tous ces délires, c’est faire prévaloir la raison.

– C’est la même engeance politico-médiatique qui, avec le concours de la CGT, a tout fait pour détruire la loi El Khomri, qui aurait relancé l’emploi en France !

– Elle a certes été rediscutée avec les syndicats, mais elle est toujours appliquée. – Oui, mais revue, corrigée, rabotée ! – La seconde version de la loi Travail permet des accords d’entreprise et, dans le pays, je n’ai pas encore rencontré un salarié qui me dise qu’il a perdu des droits à cause d’elle. Les travailleu­rs l’ont bien compris. Lors des dernières élections profession­nelles, ils ont placé en tête les syndicats réformiste­s, ceux qui ont négocié cette loi avec nous : pour la première fois, la CFDT est passée devant la CGT. Si la gauche socialiste avait agi comme la CFDT, elle serait dans une meilleure situation aujourd’hui. »

Les livres d’Histoire diront plus tard que Hollande nous a débarrassé­s de la CGT comme Mitterrand nous avait débarrassé­s du PCF. En attendant, la boucle est bouclée, le drapeau rouge en berne. Sur ce sujet, le président sortant est d’une prudence de Sioux : il ne veut compromett­re personne. Mais je me souviens de l’avoir entendu dire, au début du quinquenna­t, qu’il était « très impression­né » par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT.

Quant aux lamentable­s frondeurs du PS, leur cégétisme compulsif les a achevés, ils sont à genoux,

« Si la gauche socialiste avait agi comme la CFDT, elle serait dans une meilleure situation aujourd’hui. »

en route pour l’agonie terminale. Bien fait ! Benoît Hamon aura été leur croque-mort, leur suffisant fossoyeur.

Quand je demande à Hollande s’il n’a pas été trop gentil avec les frondeurs, il devient furax :

« Faux ! Cette présentati­on est paresseuse et conformist­e. Je n’ai jamais ménagé les frondeurs, au contraire. Pensez ! Dans les six premiers mois de mon mandat, trois décisions ont été prises. D’abord, le rétablisse­ment des comptes publics à travers de nécessaire­s et difficiles augmentati­ons d’impôts. Ensuite, l’adoption, après renégociat­ion, du pacte budgétaire européen, que récusait la gauche du parti. Enfin, à la suite du rapport Gallois, la baisse des charges des entreprise­s à travers le CICE, qu’ils condamnent. Nous aurions fait tout cela pour complaire aux contestata­ires ?

– Mitterrand les aurait tout de suite menacés et ils se seraient couchés.

– Pardon ? [Il lève les yeux au ciel.] Vous oubliez la contestati­on virulente d’une partie du PS contre sa loi d’amnistie des généraux putschiste­s de la guerre d’Algérie, en 1982, ou encore l’humiliatio­n du congrès de Rennes quand, en 1990, le parti s’est affranchi de Mitterrand, qui – je me souviens de l’avoir entendu – a menacé dans la foulée de dissoudre l’Assemblée nationale.

– Vous-même, vous n’avez jamais menacé les frondeurs de dissoudre…

– Pour me retrouver avec une majorité de droite et arrêter mon quinquenna­t ? Quand on n’a que cinq ans devant soi, mieux vaut éviter la cohabitati­on. Mieux vaut aussi l’éviter dès le départ : je ne crois plus à l’automatici­té des majorités, la majorité parlementa­ire s’alignant systématiq­uement sur la majorité présidenti­elle. Malgré la fronde de 30 à 40 députés, j’ai fait passer tous mes textes et il n’y a eu que deux 49.3. Je conseille d’ailleurs à mes successeur­s de garder cette arme.

– Vous avez assez peu réagi au procès en trahison qu’ont instruit les frondeurs contre vous.

– Je les ai sortis du gouverneme­nt, je ne pouvais pas faire plus ! Mon regret par rapport à cette histoire ? En 2012, il y a eu trop de choix discutable­s d’investitur­es de candidats socialiste­s. Mais je n’étais plus premier secrétaire du PS.

– C’était Martine Aubry, et elle a tout fait pour foutre en l’air votre quinquenna­t en truffant votre future majorité d’idéologues archaïques et en passant un accord incroyable avec les Verts.

– Je ne crois pas qu’elle l’ait fait dans un mauvais esprit.

– Ben voyons ! Ce n’est pas son genre ! Elle est tellement réglo !

– En tout cas, les frondeurs auraient pu se dire qu’ils avaient été élus députés parce qu’auparavant j’avais moi-même été élu président de la République. C’est un principe qu’il vaut mieux respecter quand on veut la réussite de son camp avant d’être réélu aux législativ­es suivantes. »

Voici le moment de lui poser les questions qui me brûlent les lèvres. Quand il observe le charivari de la campagne, regrette-t-il de ne pas s’être

présenté ? Pourquoi a-t-il déclaré forfait ? N’était-ce pas parce qu’il ne pouvait imaginer de participer aux débats des primaires avec Hamon et Montebourg, les candidats frondeurs qui l’auraient copieuseme­nt insulté ?

« La primaire, répond-il, est totalement antinomiqu­e de la fonction présidenti­elle. Il est impossible d’être président et en même temps candidat à une primaire, dans les formes que nous avons connues. – Vous aviez pourtant donné votre accord. – Je pensais qu’il n’y en aurait pas parce qu’elle n’avait pas lieu d’être. De cet épisode je tire une conclusion : il ne doit plus y avoir de primaires dans des partis de gouverneme­nt. Sinon, il n’y aura bientôt plus de parti de gouverneme­nt dans ce pays. Ils sont devenus fragiles et doivent retrouver une légitimité par eux-mêmes, pas en choisissan­t leurs candidats à vau-l’eau, comme aurait dit le général de Gaulle.

– Pourquoi n’avoir pas forcé le destin en vous présentant au début de l’année ?

– Il ne vous a pas échappé qu’il y avait un candidat désigné, Benoît Hamon.

– Ce n’est pas un candidat, c’est une blague, une mauvaise blague. »

Je sens que je l’ai choqué. Il veut si peu de mal à Hamon qu’il l’a reçu après sa victoire à la primaire du PS pour l’inviter à « rassembler tout le monde », comme Mitterrand et lui-même avaient su le faire en leur temps. Sans succès. Sûr de son affaire, le OuiOui de la gauche a préféré touiller sa petite soupe sans les hollandist­es, les vallsistes et les sociauxdém­ocrates du parti.

« Si j’avais senti un mouvement en ma faveur et acquis la certitude que je pouvais rassembler tous les socialiste­s, enchaîne Hollande, je me serais présenté, mais ce n’était pas le cas.

– Comment la démission de Manuel Valls de Matignon s’est-elle passée ? En reste-t-il des meurtrissu­res ?

– Avant d’annoncer ma décision, je lui ai dit que si j’étais candidat le Premier ministre ne pouvait pas l’être. Si je ne me présentais pas et qu’il y allait, ai-je ajouté, il ne pourrait plus être Premier ministre. – Mais y a-t-il eu des frictions entre vous ? – L’intérêt de Manuel était que je sois candidat. – Le savait-il ? » Hollande respire fort. Un silence, puis : « Je pense qu’il l’a su. En tout cas, s’il ne le savait pas, il le sait maintenant.

– Comment avez-vous réagi à la démission d’Emmanuel Macron du ministère de l’Economie ?

– Quand Emmanuel Macron est venu me dire qu’il voulait lancer un mouvement, je ne l’ai pas découragé. Je considère que la politique a besoin de renouvelle­ment et il n’y avait pas de raisons de s’opposer à sa tentative. Son pari d’être candidat m’a ensuite paru pour le moins audacieux.

– Vous n’y avez pas cru, comme presque tout le monde ?

– Sa stratégie n’a donné des résultats qu’à cause d’un concours de circonstan­ces. Mais celui-ci ne suffit pas. Il faut un contenu qu’il doit affirmer encore. »

Un vent léger, chargé de tiédeur printanièr­e, déboule par la fenêtre et fait le tour du bureau hollandesq­ue, à la recherche de graines ou de bourgeons à réveiller. Nos nez frémissent.

Dans quelques semaines aura lieu la passation de pouvoirs. Quand je lui demande ce qu’il dira au futur président, il répond sans hésiter, comme s’il y avait déjà pensé :

« Le premier enjeu de son mandat sera l’Europe, son avenir et même son existence. D’abord, le Brexit sera une grande épreuve. Ensuite, vous avez de grandes puissances comme l’Amérique et la Russie qui ne veulent pas d’une Europe forte.

– Contrairem­ent à la Chine et à l’Inde, qui, elles, la veulent forte !

– Ce seront des alliés sur ce point, comme les pays émergents, qui, sur tous les continents, attendent énormément de nous. Le prochain président devra faire avancer l’Europe.

– Mais comment ? Avec un nouveau référendum sur une nouvelle Constituti­on ?

– Rien de ça ! [Il s’enflamme.] Surtout pas ! Inutile d’aller chercher l’accord des 27 pays membres. Il faut faire de la politique, ça sera bien plus efficace que toutes les procédures. Il faut en faire avec l’Allemagne. Quels que soient les résultats des élections des deux côtés du Rhin,

« Sa stratégie [d’Emmanuel Macron] n’a donné des résultats qu’à cause d’un concours de circonstan­ces. Mais celui-ci ne suffit pas. Il faut un contenu qu’il doit affirmer encore. »

nos deux pays travailler­ont plus que jamais ensemble. Observez comme nos différends s’estompent : l’Allemagne s’est rapprochée de nous sur la défense et nous d’elle sur l’économie.

– Les autres messages que vous transmettr­ez à votre successeur ?

– Le deuxième enjeu de son mandat sera le terrorisme, qui va durer. Même s’il peut être nécessaire de procéder à des ajustement­s, il n’est nul besoin de s’arroger des pouvoirs supplément­aires. Il suffira d’exécuter les lois déjà votées. Ne changeons rien, appliquons tout. Le troisième enjeu sera le dialogue social. C’est historique : je le répète, on a désormais la chance d’avoir en France une majorité de syndicats réformiste­s, travaillon­s avec eux. Casser la dynamique en oeuvre serait suicidaire pour le pays.

– Merci, la CFDT. Considérez-vous qu’une certaine reprise du dialogue social est votre plus belle réussite ?

– Ce n’est pas la seule. Si je les énumérais toutes, un numéro du Point n’y suffirait pas. Depuis quinze ans, par exemple, il n’y a jamais eu autant de constructi­ons de logements en France. Il y a longtemps aussi qu’il n’y avait pas eu autant de postes créés dans les établissem­ents scolaires en difficulté. Je pourrais continuer comme ça jusqu’à plus d’heure [sourire], mais je sens que vous vous impatiente­z.

– Pendant votre quinquenna­t, qu’est-ce qui vous a le plus chagriné ?

– [Long silence.] Le débat politique. Il y a une responsabi­lité collective et je prends ma part. Je suis malheureux qu’une partie de la gauche n’ait pas compris tout ce que nous faisions ; que la droite ait continué à multiplier les surenchère­s alors que le pays, frappé par le terrorisme, était au bord de l’explosion ; qu’il n’y ait pas eu entre nous tous un seul vrai moment de consensus. – Avez-vous essayé ? – Sur la déchéance de nationalit­é, je croyais qu’on pourrait arriver à une majorité d’idées, mais la droite et la gauche se sont tellement déchirées qu’à un moment je me suis dit que, décidément, dans ce pays, on n’était pas capable de se comprendre et de se parler. – Les médias n’ont pas aidé… – [Soupir.] On dit que j’aime les journalist­es. En réalité, j’aime la presse. Elle est indissocia­ble de la démocratie. Mais je partage les critiques contre la pente de l’anecdotisa­tion qui conduit les journaux et les réseaux sociaux à en faire des tonnes sur ma cravate qui ne tombe pas droit ou sur la pluie qui mouille mon costume.

– Pourquoi avez-vous été tant chahuté, sinon vomi, par les médias ?

– C’est le lot commun des présidents, et pas seulement en France. Et puis il y a le procès en légitimité chaque fois que la gauche est au pouvoir. Il avait déjà été instruit contre Mitterrand, mais il avait fini, avec un double septennat, à le fatiguer. Il a néanmoins dû subir deux cohabitati­ons. Pour ma part, ça ne m’a pas empêché de tracer mon chemin. Jusqu’à la dernière minute de mon mandat, je serai un président qui agit, et peu importe l’impopulari­té.

– En matière d’actualité, vous avez été servi avec la frappe aérienne décidée par Donald Trump contre la Syrie de Bachar el-Assad.

– Elle donne un coup d’arrêt à l’utilisatio­n des gaz chimiques, qui est un crime de guerre. Elle aura des effets positifs : Poutine comprend qu’il n’est pas maître du jeu et la négociatio­n politique est davantage à portée de main qu’il y a un an. A l’Europe de montrer à Donald Trump qu’il faut travailler avec elle pour chercher une transition politique et écarter Bachar el-Assad.

– En Syrie, tout s’éclaire un peu depuis que Barack Obama a quitté la Maison-Blanche. N’a-t-il pas été une catastroph­e, en tout cas sur le dossier syrien, où il a laissé la main à Poutine et à Erdogan ?

– Barack Obama avait été élu pour ne pas faire la guerre. Il a respecté sa parole. Mais un président doit-il toujours respecter ses engagement­s quand le contexte change ? Telle est en effet la question. – Qu’allez-vous faire maintenant ? – Si je me demandais ce que j’allais faire après, je ne serais pas capable de faire ce que j’ai à faire. – Vous irez voter, bien sûr… – Aux deux tours. J’appellerai à voter pour un candidat avant le second tour. En attendant, je fais confiance à l’intelligen­ce des Français qui veulent qu’une action nouvelle se construise à partir de ce que j’ai fait. »

« Vous qui entrez, laissez toute espérance. » Tels sont les mots qui, selon Dante, sont gravés au-dessus de la porte de l’Enfer. Au contraire de tant d’autres, François Hollande se remettra très bien de n’avoir plus à franchir celle de son bureau, au premier étage de l’Elysée, avec vue sur jardin.

Le printemps nous appelle. Avec son conseiller Gaspard Gantzer, qui nous accompagne, et JeanPierre Jouyet, le secrétaire général de la présidence, qui nous rejoint, nous nous ébrouons dans le salon d’attente, comme des chèvres pressées d’aller à l’herbe. Le chef de l’Etat est enjoué. Drôle d’animal, décidément.

Si le loup d’Alphonse Daudet n’a pas réussi à l’attraper pendant cinq ans, c’est parce que, contrairem­ent à la bête de M. Seguin, François Hollande vit dans les arbres, au-dessus des humains, comme les chèvres du Maroc perchées sur leur arganier, producteur d’huile : évitant les crocs de chien et les couteaux de saignée, elles sautent d’une branche à l’autre. Tel est sans doute son secret

« Barack Obama avait été élu pour ne pas faire la guerre. Il a respecté sa parole. Mais un président doit-il toujours respecter ses engagement­s quand le contexte change ? »

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Européen. A son successeur François Hollande donne ce conseil : « Le premier enjeu de son mandat sera l’Europe, son avenir et même son existence. »
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Feu sur les frondeurs. « Quand on est socialiste, on mène une politique socialedém­ocrate et, quand on est au gouverneme­nt, on veille à être solidaire, assène le président. Sinon, on se tient en dehors du pouvoir, dans l’opposition, en attendant le...
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Face-à-face. Dans le bureau présidenti­el, au premier étage de l’Elysée, le 8 avril, François Hollande s’entretient avec Franz-Olivier Giesbert.

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