Patrick Buisson : « Mélenchon est plus chrétien que Fillon »
Le politologue de droite explique la percée de Mélenchon par son évolution idéologique.
Le Point : En 2012, Jean-Luc Mélenchon se faisait l’apôtre du multiculturalisme. Le 9 avril, à Marseille, il s’est voulu davantage patriote. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Patrick Buisson : En 2012, Mélenchon s’est en effet posé comme le chantre d’une France multiculturelle. Or, aujourd’hui, il se positionne davantage comme le candidat d’une France multiethnique, évacuant ainsi la dimension multiculturelle. Cette évolution est le résultat d’une vieille interrogation de sa part. Il ne lui a pas échappé que la percée électorale d’Oskar Lafontaine (fondateur de Die Linke en Allemagne, qui a rompu en 2005 avec le SPD) résulte d’un choc culturel avec la population immigrée turque. La gauche allemande a intégré cette problématique dans un discours anticapitaliste classique et global, qui était la défiance de Marx à l’égard du lumpenproletariat.
Mélenchon est-il prêt, selon vous, à formuler une critique de l’immigration hors champ économique ?
Le candidat de La France insoumise est tenté par un populisme de gauche qui intègre une dimension essentielle et longtemps occultée, c’est-à-dire le thème de l’immigration qui recoupe la question sociale. A ce titre, je renvoie chacun à la lecture des travaux du géographe Christophe Guilluy. Mélenchon hésite, même s’il a beaucoup évolué par rapport à 2012, où
la fin de sa campagne s’était boboïsée. Il incarnait alors un vote d’humeur à la mode.
Et aujourd’hui ?
La déliquescence du PS libère un espace qui était cadré par le candidat socialiste, qui n’existe plus. L’électorat de gauche qui va vers Mélenchon retrouve des repères et une vision du monde antérieurs à ce moment où le PS a mis l’accent sur les problèmes sociétaux et abandonné les questions sociales. En outre, Mélenchon est avec Marine Le Pen le seul à véritablement parler de religion dans cette campagne. Même s’il déclare « foutez-nous la paix avec les Eglises ! », il adopte un discours qui emprunte des symboles à la spiritualité. A Marseille, il avait un rameau pour évoquer la Méditerranée. Un franc-maçon qui arbore des rameaux, le jour des Rameaux ! Il prend la posture des hussards noirs de la République qui combattaient l’Eglise facialement, mais partageaient la même morale civique que les curés. Il campe la figure de l’instituteur de l’école émancipatrice des années 1880.
N’est-ce pas ce qu’il a toujours été ?
Absolument. Il porte une des deux vertus chrétiennes « devenues folles » chères à Chesterton et qui est le ressort dialectique de toute l’histoire de l’Occident entre le libre arbitre et la grâce. Dans la version marxiste, le culte de l’homme jusqu’à la mort de Dieu. Et dans la version capitaliste, l’absence de libre arbitre total. Mélenchon incarne un vote de classe, archaïque, qui plonge ses racines dans une spiritualité qu’il prétend combattre. Si le christianisme est le refus de la domination absolue de la marchandise, c’est-à-dire ce que la Bible condamne comme le culte des idoles, Mélenchon est plus chrétien que Fillon lorsque celui-ci se rend à Las Vegas ou entend faire de la France une smart nation.
Mélenchon s’adresse-t-il encore à un peuple de gauche ?
Bien sûr, mais celui d’avant l’oubli du fait social par le PS.
Peut-il rallier à lui, selon vous, un électorat de droite anticapitaliste, péguyste ?
Non, parce que l’univers des symboles, notammentrobespierristes,qu’ilconvoque constitue pour certains un repoussoir. Cela dit, le peuple de Mélenchon est en train d’évoluer. Il n’est pas seulement le peuple constituant, pas uniquement le peuple demos, il est aussi le peuple enraciné. Le candidat n’invoque plus seulement la nation contractuelle. Chez lui, elle relève de plus en plus de la mémoire et de l’Histoire partagées.
Que retenez-vous de cette campagne présidentielle ?
La grande défaite idéologique de cette campagne est à mettre au compte de la droite, qui a été incapable d’imposer le moindre thème. On a eu un débat entre les candidats qui a révélé le primat de l’économie sur la fonction souveraine. Mélenchon s’inscrit un peu dans cette logique, même si, contrairement à 2012, il a des propos plus forts à l’égard de la souveraineté et de l’Europe
« Mélenchon se positionne désormais comme le candidat d’une France multiethnique, évacuant la dimension multiculturelle. »