Fillon-Macron, histoire d’un rendez-vous manqué
Incompatibles ? Ils ont partagé idées libérales et amitiés. Le duel électoral a tout balayé.
Au lendemain de sa victoire à la primaire de la droite et du centre, François Fillon rayonnait. Il se voyait président et, dans sa tête, composait déjà son équipe. « Macron, je le trouve formidable. Il incarne quelque chose que je n’incarne pas. Ce serait super qu’on travaille ensemble » , confiait-il à l’un de leurs amis communs. Sans doute y avait-il dans cette remarque le sentiment chez Fillon qu’il se jouerait aisément de son cadet, mais aussi de l’admiration sincère pour ce jeune homme au parcours d’excellence. Si aujourd’hui, quatre mois après cette confidence, c’est une guerre totale que se livrent les deux hommes (voir p. 40), il n’en a pas toujours été ainsi. Ne serait-ce que parce qu’ils ont en partage l’estime, sinon l’amitié, de certains hommes de confiance.
A commencer par Antoine Gosset-Grainville, l’ancien directeur adjoint de cabinet de François Fillon à Matignon, aujourd’hui au coeur de son équipe de campagne. Contacté par Le Point, Gosset-Grainville ne souhaite pas évoquer Macron. Pourtant, lorsqu’à l’été 2014 Macron quitte l’Elysée, il a besoin d’un endroit pour se poser et réfléchir à son avenir. Pour travailler à sa reconversion, il installe son bureau chez Gosset-Grainville, qui a créé son cabinet d’avocat avenue des Champs-Elysées. La « cohabitation » entre les deux hommes ne durera que les quelques semaines avant que Macron ne remplace Montebourg à Bercy.
Autre passerelle entre Macron et Fillon, l’avocat François Sureau, l’homme qui pilote la ligne juridique de la défense Fillon face au juge Tournaire. Toujours côté Fillon, Henri de Castries, l’ancien patron d’Axa, pouvait compter sur Emmanuel Macron pour faire entendre à l’Elysée la voix des entreprises. Mathieu Laine, intellectuel libéral, a conseillé les deux hommes. Dès décembre 2015, il exhorte Macron à s’affranchir du hollandisme.Un an plus tard, il appelle à voter Fillon à la primaire. Mais il ne le croit plus aujourd’hui à même d’appliquer son programme. Pour la présidentielle, il a choisi le candidat d’En Marche !, qui ira selon lui « plus loin ». A-t-il le sentiment de trahir « François Balkany » pour « Emmanuel Hollande » ? Certainement pas. « Je sais que, humainement, c’est dur pour Fillon » , confie
Laine, qui se dit néanmoins fâché par la reductio ad hollandum que la droite agite pour disqualifier le programme de Macron. « Hollande n’aurait jamais proposé la retraite à points, une stratégie fiscale destinée à l’investissement, à l’allégement des charges salariales et patronales, à la possibilité de sortir des 35 heures par la négociation, à la fin du paritarisme dans la gestion du chômage, à l’autonomie dans les écoles et les universités… » plaide Mathieu Laine dans Le Figaro. Dans les années 1990, cette longue énumération de réformes aurait classé Macron parmi les libéraux purs et durs au sein du… RPR, où ils étaient mal vus. S’il fallait se convaincre que les lignes s’embrouillent autant qu’elles se croisent, il serait assez cocasse de noter qu’aujourd’hui François Fillon dézingue la défiscalisation des heures supplémentaires, qu’il a mise en place sous Nicolas Sarkozy, tandis qu’Emmanuel Macron souhaite la réintroduire alors qu’il était en fonction à l’Elysée quand François Hollande l’a abrogée…
Souverainistes. Quoi qu’il en soit, toutes leurs relations communes se trouvent aujourd’hui, à l’heure du choix, dans une position inconfortable, compliquée par un climat où les accusations lancées par Fillon de « cabinet noir » élyséen censé servir les intérêts électoraux du candidat d’En Marche ! sont venues hystériser la campagne. Le frottement des ambitions amène inévitablement à quelques excès alors qu’à l’origine de leur engagement politique les deux hommes n’étaient pas aussi éloignés.
Reprenons : François Fillon fait ses premiers pas dans ceux de Philippe Séguin. Il est alors un souverainiste et un gaulliste social à mille lieues du thatchérisme qu’il revendique aujourd’hui. Emmanuel Macron commence par s’intéresser au souverainisme de gauche de Jean-Pierre Chevènement, puis il bifurque rapidement vers le rocardisme et la défense de l’Europe. Voilà donc une origine partagée – le souverainisme – et une conversion commune, plus poussée pour Fillon vers le libéralisme, plus poussée pour Macron vers l’intégration européenne. L’un provenant du séguinisme, l’autre du chevènementisme, ils convergent, à des
Dans les années 1990, les réformes qu’il propose auraient classé Macron parmi les libéraux purs et durs au sein du… RPR, où ils étaient mal vus.