L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Est-ce donc ça, la démocratie ? Un brouhaha d’où fusent billevesées, menteries, approximations. Désolé de briser le consensus, mais cette campagne est lamentable. Ceux qui doutaient que nous soyons en décadence, comme dit l’ami Onfray, en seront pour leurs frais. La décadence est là, bien palpable, dans les têtes, les nombrils, les discours.
La bien-pensance nous interdit d’émettre la moindre réserve sur les petits candidats de droite ou de gauche qui parasitent cette campagne. Supposés apporter de la fraîcheur, ils incarnent presque tous une idéologie rance, souverainiste, nourrie aux passions tristes telles que les avait définies Spinoza : la peur, la colère, la convoitise, le ressentiment. Ils nous tirent tous vers le bas, excepté Jean Lassalle, qui, à l’évidence, habite au ciel.
Leur petite musique écrite au vieux vinaigre couvre les voix des vrais grands candidats, qui, la mode étant au riquiqui, au rétréci, au crapoussin, ont souvent mauvaise presse dans les journaux ou sur les réseaux sociaux. Sur l’Europe, ceux-ci donnent le la d’une campagne qui restera dans les annales comme celle du repli sur soi, sur fond de désinformation.
Les mensonges des antieuropéens ont tellement pourri nos cerveaux que l’on n’en croit pas ses yeux quand on lit sous la plume d’un esprit libre, François le Hodey (1), que la prétendue « eurocratie », supposée si lourde, ne compte que 33 000 fonctionnaires, soit la moitié des effectifs de la ville de Paris, pour gérer un continent de 510 millions d’habitants, tandis que le budget global de l’Union « ne représente que 1 % du PIB européen, dont 80 % sont redistribués aux Etats ».
Socialisme des imbéciles à gauche et patriotisme des crétins à droite, le souverainisme antieuropéen est le fruit du même aveuglement intellectuel. Il n’a certes pas tout faux. L’« eurocratie » est ainsi accusée par ses ennemis de fabriquer des kilomètres de réglementations débiles. A juste titre. Il lui est également reproché de se mêler de ce qui ne la regarde pas en matière de normes en tout genre. Là encore, ils ont raison. Mais la France, nation mère de Courteline et de la paperasserie triomphante, n’est pas en reste, il s’en faut. Elle fait même pire.
« Du courage ! », un livre passionnant (2) d’Isabelle Saporta, qu’il faudrait distribuer dans les écoles et les ministères, montre bien l’assassinat par l’administration des agriculteurs vertueux, persécutés par les réglementations absurdes. Elle raconte des histoires à dormir debout où l’Etat « si tatillon, diligent, intraitable avec les artisans bio », cède devant l’agrobusiness. Pour le coup, désolé, chers souverainistes, ce n’est pas la faute à l’Europe, mais à notre cher et vieux pays.
Dieu merci, le protectionnisme économique n’est pas encore à l’ordre du jour, mais l’idéologie protectionniste a, semble-t-il, déjà pris le contrôle de nos méninges, à en juger par l’absence de « benchmarking » chez les candidats, qui se gardent, pour la plupart, de faire des comparaisons avec ce qui se passe à l’étranger. A croire que la France serait une île, loin de tout continent, protégée par de hauts murs couverts de barbelés.
Pour le plaisir de gâcher la grande foire-à-tout électorale, citons deux classements explosifs qui expliquent, entre autres, pourquoi nous sommes à la peine. Selon Eurostat, l’office européen des statistiques, le salarié français à temps complet est celui qui travaille le moins dans l’Union. En heures annuelles travaillées, il est à 1 646 ; l’Italien à 1 776 ; l’Espagnol à 1 811 ; l’Allemand à 1 845. Et il faudrait travailler moins ! Toujours selon Eurostat, la France est l’un des pays européens où le coût horaire du travail est le plus élevé (35,60 euros) parce qu’il est le plus excessivement chargé : 33,2 % de coûts non salariaux contre une moyenne de 23 % dans l’Union européenne. Et il faudrait encore augmenter les charges !
Sans doute se trouvera-t-il toujours des économistes atterrés et atterrants pour récuser ces chiffres incontestables. Telle est en effet l’une des grandes causes de l’actuel mal français, et notamment de son chômage de masse : chez nous, quand les vraies statistiques ne leur conviennent pas, les pseudo-experts en mijotent de fausses qui contrediront les premières et auront les honneurs de la bonne presse. Il n’y a, hélas, que deux candidats sur onze, François Fillon et Emmanuel Macron, qui prennent les chiffres au sérieux, et c’est pitié que tous les autres vivent dans la pensée magique, comme Alice au pays des merveilles. Ils ne savent pas que, comme dirait Virgile, « nous ne pouvons tous toutes choses ». Sous leurs avalanches de promesses, comment ne pas avoir envie d’air pur ? Un conseil, en ce cas : retrouver pour mieux respirer le grand poète lombard, amoureux de la nature, que croque si bien Xavier Darcos dans « Virgile, notre vigie » (3), un feu d’artifice d’intelligence et d’érudition 1. La Libre Belgique, le 25 mars. 2. Fayard. 3. Fayard.