Le Point

Essai (X. Darcos) : Virgile nous manque

- PAR MICHEL SCHNEIDER

D ans

l’Antiquité, sur un navire, la vigie et le pilote avaient des rôles différents : veiller sur et veiller à. Dans le beau livre qu’il consacre à Publius Vergilius Maro (70 av. J.-C. - 19 av. J.-C.), Xavier Darcos rapproche par assonances Virgile et vigie. Sa thèse : le poète aux yeux grands ouverts sur la merveille du monde fut aussi un voyant dans la détresse des temps. De haut et de loin, il décrivit en des vers sublimes les aléas des climats et les errances d’une traversée parmi les écueils.

Les églogues des « Bucoliques » chantent l’agricultur­e et l’équilibre du monde, où toute chose a sa raison d’être, qui n’est pas de nous être asservie. Puis, avec « Les Géorgiques », son traité d’économie, Virgile « a mis toute sa terre dans ses vers » , écrit Jean Giono. Enfin, composée d’une « Odyssée » (chants I à VI : les errances d’Enée, rescapé de Troie) suivie d’une « Iliade » (chants VII à XII : sa guerre pour fonder Rome), « L’Enéide » raconte « les armes et les hommes en guerre » (« Arma virumque cano Troiae qui primus ab oris… » ) mais dépeint aussi l a pa i x de s ch a mp s moissonnés et la beauté des femmes dans la lumière d’automne, la fatigue des mères (Andromaque) et les brûlures de l’amour commençant (Corydon) ou la glace de sa fin (Didon).

Au terme d’une traversée amoureuse et érudite, l’agrégé de lettres classiques, spécialist­e de la mort chez Ovide devenu ministre, voit en Virgile non un ancien mais un permanent. Précurseur de l’écologie, soucieux de repères et de valeurs et attaché à préserver l’humanité de l’homme. Face à une « histoire qui se déracine, déculturée et fonçant dans le vide » , depuis les désastres de son siècle, sa voix douce et grave nous parvient au milieu du nôtre. Virgile nous manque. A tous, même ceux qui ne l’ont jamais lu. Bientôt – encore quelques ministres d’une déséducati­on qu’on n’ose plus dire nationale –, il ne sera peutêtre plus qu’un nom dans les dictionnai­res.

Ecoutons : « Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt » (Il y a des larmes dans les choses qui touchent le coeur des mortels), dit Enée devant un mur où sont représenté­s les héros morts de Troie. Il y a de quoi pleurer quand on regarde le monde comme il va. Mal. Mais écoutons plutôt Virgile, qui veille sur nous et nous éveille, embarqués somnolents sur une mer soulevée de vagues coléreuses et de vents mauvais

« Virgile, notre vigie », de Xavier Darcos (Fayard, 290 p., 19 €). Lire aussi le « Virgile » de Jean Giono (Buchet-Chastel, 324 p., 12 €). A écouter : de Liszt, « Années de pèlerinage - III - 5. Sunt lacrymae rerum ».

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Xavier Darcos.

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