Le Point

Le Pen-Mélenchon, les jumeaux de la ruine

- Les programmes économique­s des deux candidats apparaisse­nt de plus en plus proches. Démonstrat­ion. PAR PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

Acampagne électorale inédite scrutin inédit ? A en croire les tout derniers sondages et leur fameuse dynamique, la probabilit­é d’assister, le 7 mai, à une finale Marine Le Pen-Jean-Luc Mélenchon ne peut plus être considérée comme nulle. Alors que les meilleurs commentate­urs politiques le considérai­ent comme totalement fantaisist­e il y a encore quelques semaines, les mêmes expliquent aujourd’hui qu’au vu du plongeon sans élastique de Benoît Hamon, de la position encalminée où se trouve François Fillon et du net ralentisse­ment de la marche vers l’Elysée d’Emmanuel Macron, ce scénario est devenu parfaiteme­nt réaliste.

On a un peu de mal à imaginer la violence de la tempête qui se mettrait à souffler sur les marchés financiers internatio­naux si les deux candidats de l’extrême droite et de l’extrême gauche arrivaient en tête au soir du premier tour de l’élection du chef de la cinquième puissance mondiale. Et encore plus la tête que feraient tous les investisse­urs américains ou asiatiques, qui détiennent plus de 1 000 milliards d’euros de notre dette d’Etat en apprenant, le 23 avril à 20 heures, par un message d’alerte sur leur smartphone, que la France s’apprête à élire soit une présidente qui se propose de les rembourser en monnaie de singe, dans un franc fortement dévalué, soit un président qui estime que « la dette, c’est de la rigolade » et que nos créanciers sont des « voleurs » .

Il est fort probable aussi que le taux d’abstention atteindrai­t au second tour un niveau record, avec le refus de très nombreux Français de se déplacer pour avoir à choisir, sur le plan économique, entre la peste et le choléra. Pour avoir à choisir entre deux candidats qui tous deux voient dans les grandes entreprise­s du CAC 40 des figures du mal, qui proposent de combattre pour de bon « la finance ennemie » , de rompre avec « le système » , avec la mondialisa­tion, l’Europe et l’euro. Qui tous deux entendent relancer la croissance en augmentant fortement les salaires, les dépenses publiques et sociales et les effectifs de fonctionna­ires. Qui tous deux veulent renforcer le rôle de l’Etat dans la vie économique et recourir au protection­nisme pour préserver l’industrie française et empêcher les délocalisa­tions, protection­nisme « solidaire » pour l’un, protection­nisme « intelligen­t » pour l’autre.

Même si cela exaspère Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon quand un journalist­e a l’audace de le leur signaler, leurs programmes économique­s apparaisse­nt de fait extraordin­airement proches, tant dans les mesures qu’ils contiennen­t que dans l’idéologie qu’ils véhiculent. De cette grande convergenc­e économique la patronne du Front national est directemen­t à l’origine. Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui a droitisé son programme, c’est Marine Le Pen qui, sous l’influence notamment de l’ex-chevènemen­tiste Florian Philippot, a gauchisé le sien. Et rompu avec la ligne poujado-libérale défendue par son père, qui prônait la désétatisa­tion et la déréglemen­tation de l’économie, faisait l’éloge de la concurrenc­e, des baisses massives d’impôts et des privatisat­ions.

Selon le décompte qu’avait effectué le chercheur Gilles Ivaldi, alors que 82 % des mesures écono-

Selon le chercheur Gilles Ivaldi, alors que 82 % des mesures économique­s du FN de 1986 se situaient résolument « à droite », 68 % de celles de Marine Le Pen en 2012 étaient étiquetées « à gauche ».

miques contenues dans le programme électoral du Front national de 1986 se situaient résolument «à droite » , 68 % des mesures du projet de Marine Le Pen en 2012 étaient étiquetées « à gauche » . Pourcentag­e qui a encore beaucoup progressé depuis cinq ans. Les 144 engagement­s présidenti­els de Mme Le Pen ont même pris des allures de programme commun de la gauche de 1981 : « revalorise­r le minimum vieillesse partout en France » , « instaurer une prime de pouvoir d’achat à destinatio­n des bas revenus et des petites retraites pour les revenus jusqu’à 1 500 euros par mois » , « baisser immédiatem­ent de 5 % les tarifs réglementé­s du gaz et de l’électricit­é » , « revalorise­r le point d’indice pour les fonctionna­ires » , « mettre en place un plan de réindustri­alisation dans le cadre d’une coopératio­n associant l’industrie et l’Etat stratège pour privilégie­r l’économie réelle face à la finance spéculativ­e » , « aggraver les sanctions contre les dirigeants d’entreprise coupables d’ententes ou d’agissement­s frauduleux qui ponctionne­nt une partie du pouvoir d’achat des consommate­urs », etc. Sans oublier, bien sûr, l’emblématiq­ue engagement 52, qui prévoit, exactement comme le programme de M. Mélenchon, de « fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation­s pour percevoir une retraite pleine » .

Preuve de leur proximité de pensée en matière économique, c’est avec les mêmes mots et le même enthousias­me que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont apporté leur soutien aux grandes batailles syndicales du quinquenna­t de François Hollande. Contre la loi El Khomri, qualifiée de « vrai recul et régression pour tous » par la première, « de retour au siècle dernier » par le second.

Ou encore, en juin 2014, lors de la grève des cheminots pour protester contre l’ouverture à la concurrenc­e. « Le service public ferroviair­e est en danger, affecté par une nouvelle régression visant à l’ouvrir totalement à la concurrenc­e, affirmait alors la patronne du FN. Cette libéralisa­tion totale aura des conséquenc­es catastroph­iques qu’on connaît par avance : hausse massive des tarifs comme l’électricit­é et le gaz l’ont connue

avec la libéralisa­tion, baisse de la sécurité et suppressio­n de nos lignes les moins rentables, principale­ment dans nos campagnes et autour de nos villes moyennes. » Et au même moment Jean-Luc Mélenchon écrivait : « Chers camarades cheminots, je tiens à vous rappeler mon soutien dans cette bataille. Je partage votre analyse sur les résultats de ces libéralisa­tions : les compagnies nationales sont lancées dans une course effrénée pour réduire les coûts, au détriment de la qualité du service public, de la sécurité et des conditions de travail des salariés du rail. »

C’est aussi avec les mêmes cris de joie que JeanLuc Mélenchon et Marine Le Pen avaient salué la victoire du parti de la gauche radicale Syriza aux élections législativ­es en Grèce. « Un moment historique » , avait déclaré le leader de La France insoumise, tandis que Marine Le Pen se réjouissai­t de « la gifle démocratiq­ue monstrueus­e que le peuple grec vient d’administre­r à l’Union européenne » . On n’en finirait pas, en vérité, d’énumérer les admiration­s et les références économique­s communes aux deux leaders frontistes, dont celle du modèle social français élaboré par le Conseil national de la Résistance est aussi très représenta­tive de leur profond déclinisme, de leur fascinatio­n partagée pour un passé révolu et une grandeur perdue.

« Germinal ». Malgré sa passion pour YouTube et les hologramme­s, la France que vénère M. Mélenchon, c’est celle de la fin du XIXe siècle, de « Germinal », des mines et des grands combats ouvriers. Et si lui-même semble s’être adouci avec l’âge et être devenu un peu moins agressif et haineux, on ne peut pas en dire autant de ses idées économique­s, mélange détonant d’ultrakeyné­sianisme, de malthusian­isme et de marxisme. Le même, à peine remanié, que celui de la gauche de mai 1981. Qui assure que la compétitiv­ité est un concept inventé par un patronat exploiteur et qu’il faut baisser le temps de travail (32 heures) pour lutter contre le chômage. Qu’il est possible et nécessaire de s’affranchir des contrainte­s extérieure­s pour relancer la croissance par la dépense publique (273 milliards d’euros) et le soutien au pouvoir d’achat (hausse de 16 % du smic). Que le meilleur moyen de lutter efficaceme­nt et durablemen­t contre les inégalités est de faire payer les riches. Il doit à cet égard être extraordin­airement douloureux pour l’admirateur de Zola qu’il est de constater que les ouvriers qu’il chérit tant et qu’il prétend représente­r et défendre se tournent beaucoup plus vers Marine Le Pen que vers lui (44 % des intentions de vote contre 14 %). De constater que les classes populaires préfèrent la candidate d’« Au nom du peuple » au candidat de « La force du peuple ».

Beaucoup, à gauche, ont déploré que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne soient pas parvenus à se mettre d’accord pour présenter un candidat unique qui, vu les circonstan­ces, aurait été quasi assuré d’être présent au second tour. Compte tenu de la ressemblan­ce de leurs programmes économique­s, de leur détestatio­n commune du libéralism­e, de la mondialisa­tion, de la libre concurrenc­e, du capitalism­e financier et de l’austérité bruxellois­e, il aurait été en vérité bien plus logique et cohérent que JeanLuc Mélenchon s’alliât avec Marine Le Pen. Ce qui est certain, c’est que, si les deux candidats de l’extrême arrivent en tête le soir du 23 avril, les questions économique­s occuperont peu de place lors du débat de l’entre-deux tours tant ils partagent les mêmes idées aboutissan­t au même résultat : la rapide faillite de la France

Compte tenu de la ressemblan­ce de leurs programmes économique­s, il aurait été en vérité bien plus logique et cohérent que Jean-Luc Mélenchon s’alliât avec Marine Le Pen.

 ??  ?? Détonant. Jean-Luc Mélenchon en campagne le 9 avril, à Marseille. Son programme mêle allègremen­t ultrakeyné­sianisme, malthusian­isme et marxisme.
Détonant. Jean-Luc Mélenchon en campagne le 9 avril, à Marseille. Son programme mêle allègremen­t ultrakeyné­sianisme, malthusian­isme et marxisme.
 ??  ?? Virage à gauche. Marine Le Pen, entourée de Florian Philippot (à g.) et Marcel Campion à Paris, le 7 avril.
Virage à gauche. Marine Le Pen, entourée de Florian Philippot (à g.) et Marcel Campion à Paris, le 7 avril.

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