Le Point

Marine Martin, une mère courage contre la Dépakine

- JÉRÔME VINCENT

« C’était un jour de 2011, au printemps. Déjà, je savais. J’ai toujours su qu’il y avait des coups à prendre, des plumes à y laisser, des obstacles à surmonter. Que je m’embarquais dans une histoire pas banale. » C’est peu dire. Marine Martin, 44 ans, est la mère de deux enfants souffrant l’un de lourdes séquelles neurologiq­ues, l’autre de difficulté­s de coordinati­on motrice parce qu’elle-même a pris de la Dépakine depuis toute jeune pour soigner son épilepsie. Et lors de ses grossesses, aucun de ses médecins, généralist­e, gynécologu­e ou neurologue, ne l’a avertie des risques tératogène­s – de toxicité pour le foetus – de ce médicament par ailleurs indispensa­ble. Ils sont pourtant notifiés depuis les années 1980. Qui plus est, la prescripti­on d’acide valproïque qui compose ce produit a été étendue massivemen­t aux personnes bipolaires. « Un jour, j’ai découvert quelque chose que personne ne voulait révéler, une douloureus­e vérité soigneusem­ent enterrée depuis trop longtemps », raconte-t-elle dans son livre (1). En tapant trois mots sur Internet, « médicament », « dangereux », « grossesse », elle tombe sur le site du Crat, Centre de référence sur les agents tératogène­s (2), et comprend enfin de quoi son fils est atteint. Le 11 mars 2011, l’Associatio­n d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvul­sivant est créée. Six ans plus tard, son bilan est incroyable. Marine Martin, sa famille, une poignée d’amies vivant le même drame qu’elle, son avocat, Me Charles Joseph-Oudin, son conseil scientifiq­ue et le Dr Hubert Journel (3) ont rendu obligatoir­e l’informatio­n aux femmes épileptiqu­es ou bipolaires : les conditions de pres-

GRÂCE À SON ACTION, LA MENTION « DÉPAKINE + GROSSESSE = DANGER » EST ENFIN APPOSÉE SUR TOUTES LES BOÎTES, ET UN FONDS D’INDEMNISAT­ION DES VICTIMES A ÉTÉ VOTÉ.

cription de l’acide valproïque ont été restreinte­s, la notice du médicament a été révisée, un pictogramm­e « Dépakine + grossesse = Danger » est apposé sur toutes les boîtes. Un fonds d’indemnisat­ion des victimes a été voté. La première action de groupe dans le domaine sanitaire a été déposée en justice. L’associatio­n rassemble 2 200 familles et 3 800 enfants atteints. Il va sans dire que ces victoires ont été remportées en violant l’inertie du laboratoir­e pharmaceut­ique produisant la Dépakine, de l’agence du médicament, du ministère de la Santé, d’une majorité du corps médical. « Je suis persuadée que rien n’est impossible, que rien n’est perdu d’avance. De simples citoyens peuvent faire bouger les choses. » Marine Martin se bat maintenant pour que les bénéfices et les risques de l’intégralit­é des antiépilep­tiques soient réexaminés

1. « Dépakine, le scandale » (Robert Laffont). 2. Crat, voir Le Point n° 2231 du 11/6/15. 3. Dr Hubert Journel, voir Le Point n° 2296 du 8/9/16.

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