Le Point

Pour un second tour Fillon-Macron

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Neuf contre deux. Si l’on regarde les programmes des onze candidats, l’offre politique de cette campagne n’a correspond­u en rien à la demande des Français, qui, aux dernières nouvelles, sont dans leur majorité partisans de l’Europe.

Les antieuropé­ens et leur pensée du XIXe siècle étaient surreprése­ntés. Tel aura été l’étrange spectacle donné par cette campagne : neuf mirliflore­s, presque tous souveraini­stes, souvent conspirati­onnistes, économique­ment incompéten­ts, qui promettaie­nt au bon peuple, à défaut de pain, des barbelés et des miradors.

La démagogie étant devenue l’idéologie dominante, nous étions sommés d’applaudir à tout rompre cette manifestat­ion de la démocratie, tandis que les médias bien-pensants se pâmaient d’extase devant Mme Arthaud et M. Poutou : le trotskiste étant une espèce en voie de disparitio­n, ils mettent à peu près autant de soin à le préserver que les Chinois qui bichonnent leurs pandas.

Passons sur certains personnage­s qui font candidat comme d’autres épicier, ou guichetier : si grotesques et avantageux soient-ils, le « système » tant honni est tellement généreux avec eux qu’il leur assure leurs fins de mois. Ils rapetissen­t la démocratie quand ils ne la ridiculise­nt pas. Dans une campagne, toutes les sensibilit­és sont bienvenues, y compris quand elles sont rustiques, voire poétiques, comme celle de M. Lassalle, mais par pitié, qu’on nous épargne les petits olibrius et les mythomanes de poche !

Faisons un rêve, ce qui relèvera du miracle au milieu de toutes les cacasserie­s électorale­s. Si du haut de son ciel le dieu de la démocratie rendait la justice, le débat du second tour se déroulerai­t entre MM. Fillon et Macron. Ils incarnent en effet deux conception­s de la France, de l’Europe, de la politique, de la société. Ils sont aussi les deux seuls candidats susceptibl­es d’obtenir, dans la foulée de la présidenti­elle, une majorité aux législativ­es et d’éviter ainsi aux Français une crise parlementa­ire. Leur face-à-face serait digne d’un grand pays.

Que nous arrive-t-il ? Oyez la rumeur : il monte dans les esprits comme une aspiration au désastre, un vertige du chaos, une jouissance du suicide annoncé. « Si la France est malade, écrivait Jules Renard dans son “Journal”, qu’elle prenne quelque chose de chaud, le soir en se couchant. » Alors, se dit-elle ces jours-ci, va pour le bouillant, le torride, les sensations fortes. Pourquoi pas un match Le Pen-Mélenchon au second tour ? En cette fin de campagne, notre pays s’amuse à se faire peur, apparemmen­t prêt à céder à tous les délires, toutes les aventures.

Si nous avons perdu la tête, il faut d’abord s’en prendre à nous-mêmes et à cette pusillanim­ité que nous transmetto­ns, par nos incessante­s foucades, aux dirigeants de ce pays. Beaucoup de Français ont une telle peur panique des réformes qu’ils préfèrent la révolution : que tout change pourvu que rien ne change ! Or, si M. Fillon ou M. Macron est élu, on peut être à peu près sûr que l’un ou l’autre procédera au moins à quelques mesures d’urgence pour relancer l’emploi et désendette­r le pays.

D’Emmanuel Macron Anne Fulda brosse un portrait saisissant dans une biographie piquante qu’il faut lire avant d’aller voter (1). Le candidat qui a dit aux Français « Je vous aime » apparaît plus construit et plus profond qu’on pourrait le penser. Il a un projet et une histoire. A son propos, notre consoeur reprend même le célèbre portrait de Mitterrand par Mauriac : « Il a été cet enfant barrésien, souffrant jusqu’à serrer les poings du désir de dominer la vie. Il a choisi de tout sacrifier pour cette domination. »

Le handicap de ce Petit Prince bonapartis­te en quête de pont d’Arcole : selon Anne Fulda, son besoin quasi mystique de conquérir, de subjuguer. « Séduire, écrit la biographe, vacharde, est un sport dans lequel Macron excelle, lui qui envoûterai­t une chaise. » Mais quand on veut plaire à tout le monde, il arrive un jour où on ne plaît plus à personne.

De François Fillon on ne peut plus douter qu’il soit doté, ce qu’on ignorait, d’un caractère en acier trempé. Après avoir survécu à tant d’affaires et d’avanies, il est mithridati­sé. Trump et Poutine sont priés de bien se tenir. Il apparaît, de plus, comme un homme complexe, avec des tiroirs à double fond, tel Mitterrand en son temps, ce qui ajoute une dimension romanesque au personnage. Enfin, en ces temps où tombent les foudres « antisystèm­e », la campagne compulsive des médias contre lui ne jouera pas nécessaire­ment en sa défaveur.

On ne pourra plus dire de lui qu’il n’a pas de courage, Fillon. Mais son problème est exactement l’inverse de celui de Macron : peut-on vraiment réformer si une partie non négligeabl­e du pays se méfie de vous, quand elle ne vous rejette pas ? Macron ou Fillon sont les noms de deux incertitud­es, mais une chose est sûre : ni l’une ni l’autre ne sont, contrairem­ent aux autres, synonymes d’un grand saut dans le vide 1. « Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait » (Plon).

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