Pour un second tour Fillon-Macron
Neuf contre deux. Si l’on regarde les programmes des onze candidats, l’offre politique de cette campagne n’a correspondu en rien à la demande des Français, qui, aux dernières nouvelles, sont dans leur majorité partisans de l’Europe.
Les antieuropéens et leur pensée du XIXe siècle étaient surreprésentés. Tel aura été l’étrange spectacle donné par cette campagne : neuf mirliflores, presque tous souverainistes, souvent conspirationnistes, économiquement incompétents, qui promettaient au bon peuple, à défaut de pain, des barbelés et des miradors.
La démagogie étant devenue l’idéologie dominante, nous étions sommés d’applaudir à tout rompre cette manifestation de la démocratie, tandis que les médias bien-pensants se pâmaient d’extase devant Mme Arthaud et M. Poutou : le trotskiste étant une espèce en voie de disparition, ils mettent à peu près autant de soin à le préserver que les Chinois qui bichonnent leurs pandas.
Passons sur certains personnages qui font candidat comme d’autres épicier, ou guichetier : si grotesques et avantageux soient-ils, le « système » tant honni est tellement généreux avec eux qu’il leur assure leurs fins de mois. Ils rapetissent la démocratie quand ils ne la ridiculisent pas. Dans une campagne, toutes les sensibilités sont bienvenues, y compris quand elles sont rustiques, voire poétiques, comme celle de M. Lassalle, mais par pitié, qu’on nous épargne les petits olibrius et les mythomanes de poche !
Faisons un rêve, ce qui relèvera du miracle au milieu de toutes les cacasseries électorales. Si du haut de son ciel le dieu de la démocratie rendait la justice, le débat du second tour se déroulerait entre MM. Fillon et Macron. Ils incarnent en effet deux conceptions de la France, de l’Europe, de la politique, de la société. Ils sont aussi les deux seuls candidats susceptibles d’obtenir, dans la foulée de la présidentielle, une majorité aux législatives et d’éviter ainsi aux Français une crise parlementaire. Leur face-à-face serait digne d’un grand pays.
Que nous arrive-t-il ? Oyez la rumeur : il monte dans les esprits comme une aspiration au désastre, un vertige du chaos, une jouissance du suicide annoncé. « Si la France est malade, écrivait Jules Renard dans son “Journal”, qu’elle prenne quelque chose de chaud, le soir en se couchant. » Alors, se dit-elle ces jours-ci, va pour le bouillant, le torride, les sensations fortes. Pourquoi pas un match Le Pen-Mélenchon au second tour ? En cette fin de campagne, notre pays s’amuse à se faire peur, apparemment prêt à céder à tous les délires, toutes les aventures.
Si nous avons perdu la tête, il faut d’abord s’en prendre à nous-mêmes et à cette pusillanimité que nous transmettons, par nos incessantes foucades, aux dirigeants de ce pays. Beaucoup de Français ont une telle peur panique des réformes qu’ils préfèrent la révolution : que tout change pourvu que rien ne change ! Or, si M. Fillon ou M. Macron est élu, on peut être à peu près sûr que l’un ou l’autre procédera au moins à quelques mesures d’urgence pour relancer l’emploi et désendetter le pays.
D’Emmanuel Macron Anne Fulda brosse un portrait saisissant dans une biographie piquante qu’il faut lire avant d’aller voter (1). Le candidat qui a dit aux Français « Je vous aime » apparaît plus construit et plus profond qu’on pourrait le penser. Il a un projet et une histoire. A son propos, notre consoeur reprend même le célèbre portrait de Mitterrand par Mauriac : « Il a été cet enfant barrésien, souffrant jusqu’à serrer les poings du désir de dominer la vie. Il a choisi de tout sacrifier pour cette domination. »
Le handicap de ce Petit Prince bonapartiste en quête de pont d’Arcole : selon Anne Fulda, son besoin quasi mystique de conquérir, de subjuguer. « Séduire, écrit la biographe, vacharde, est un sport dans lequel Macron excelle, lui qui envoûterait une chaise. » Mais quand on veut plaire à tout le monde, il arrive un jour où on ne plaît plus à personne.
De François Fillon on ne peut plus douter qu’il soit doté, ce qu’on ignorait, d’un caractère en acier trempé. Après avoir survécu à tant d’affaires et d’avanies, il est mithridatisé. Trump et Poutine sont priés de bien se tenir. Il apparaît, de plus, comme un homme complexe, avec des tiroirs à double fond, tel Mitterrand en son temps, ce qui ajoute une dimension romanesque au personnage. Enfin, en ces temps où tombent les foudres « antisystème », la campagne compulsive des médias contre lui ne jouera pas nécessairement en sa défaveur.
On ne pourra plus dire de lui qu’il n’a pas de courage, Fillon. Mais son problème est exactement l’inverse de celui de Macron : peut-on vraiment réformer si une partie non négligeable du pays se méfie de vous, quand elle ne vous rejette pas ? Macron ou Fillon sont les noms de deux incertitudes, mais une chose est sûre : ni l’une ni l’autre ne sont, contrairement aux autres, synonymes d’un grand saut dans le vide 1. « Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait » (Plon).