Balzac contre le protectionnisme
Pourquoi le libre-échange, dont l’écrivain fut l’un des chantres, a trouvé si peu d’écho en France.
Le choc entre protectionnisme et libre-échange contenu dans celui du second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron est loin de constituer une première dans l’histoire de notre pays. Dans son ouvrage de référence, « L’identité économique de la France », l’historien David Todd a montré comment la bataille entre ces deux visions antagonistes du commerce international s’était déjà retrouvée, au XIXe siècle, au coeur des débats et des enjeux politiques. Comment aussi l’issue de cette bataille, qui vit le protectionnisme sortir grand vainqueur, a pour très longtemps dessiné le paysage idéologique français.
Il est fascinant, à la lecture de cet essai, d’observer à quel point ce grand combat d’idées mené il y a deux siècles fait écho à celui d’aujourd’hui. De la même façon que le vote du premier tour de la présidentielle a fait apparaître un ouest de la France favorable à l’ouverture et au libre-échange et un nord au contraire séduit par le repli protectionniste proposé par le Front national, on retrouve au XIXe siècle d’importantes différences régionales, liées à des intérêts économiques locaux divergents. Grands exportateurs, les viticulteurs bordelais conduisaient la bataille libre-échangiste, tandis que les industriels du nord de la France, notamment du secteur textile, désireux de se protéger contre la concurrence britannique, étaient à la tête des troupes protectionnistes.
Les libre-échangistes français de l’époque n’hésitaient pas à mêler étroitement les arguments économiques et moraux, en faisant notamment l’éloge des vertus civilisatrices du commerce et de l’ouverture à l’extérieur, avec le soutien appuyé – comme de nos jours – des « élites » intellectuelles. Au premier rang desquels Hugo et Lamartine – par ailleurs propriétaire d’un grand vignoble en Bourgogne – qui voyait dans les tarifs douaniers une « sorte de suicide national que la démence seule pourrait conseiller » . Balzac, de son côté, parlait du « secours trompeur et honteux des tarifs douaniers » et écrivait : « L’industrie ne peut être sauvée que par elle-même, la concurrence est sa vie. Protégée, elle s’endort ; elle meurt par le monopole comme sous le tarif. » Et tandis que Stendhal dénonçait les restrictions aux importations de produits étrangers – « Laissez entrer les fers suédois et anglais, et chaque Français dépensera deux francs de moins par an » –, le philosophe et abbé Félicité de Lamennais, à qui d’ailleurs on doit l’expression « libreéchange », défendait celui-ci au nom « de l’unité sainte du genre humain ». C’est aussi avec un ton quasi messianique qu’en 1846 l’économiste et polémiste Frédéric Bastiat prononça à Bordeaux le discours d’inauguration de l’Association pour la liberté des échanges. « Libre-échange ! Ce mot fait notre force. Il est notre épée et notre bouclier. Libre-échange ! C’est un de ces mots qui soulèvent des montagnes. Il n’y a pas de sophisme, de préjugé, de ruse, de tyrannie qui lui résiste. Il porte en lui-même et la démonstration d’une Vérité, et la déclaration d’un Droit, et la puissance d’un Principe. »
Dans le camp protectionniste, on faisait preuve du même lyrisme, mais en jouant plutôt sur la corde paternaliste et surtout en exaltant la fibre patriotique et nationaliste. Le député de Paris Charles Dupin expliquait que les barrières douanières
« L’industrie ne peut être sauvée que par elle-même, la concurrence est sa vie », écrivait Balzac.