Le Point

Droite, la bataille qui commence

Récit. Comment Les Républicai­ns veulent rebondir. Coulisses d’un grand chambardem­ent.

- PAR LAURELINE DUPONT

En politique, il y a plus fiable que les boules de cristal, plus crédible que les lignes de la main : un coup d’oeil jeté à un écran de télévision au moment opportun, de préférence un soir d’élection quand l’heure est grave. Ceux qui ont vu, dimanche 23 avril à20h 30, JeanPierre Raffarin et Laurent Wauquiez assis côte à côte sur le plateau de France 2, puis entendu le premier appeler à « se rassembler sans hésiter derrière Emmanuel Macron» quelques secondes avant que le second rechigne et demande aux électeurs de droite de « ne pas voter Marine Le Pen » , bref, ceux-là ont tout entrevu de l’avenir de la droite, de ses cas de conscience et de ses nouveaux combats. En faisant disparaîtr­e – première historique – la droite gouverneme­ntale dès le premier tour d’une élection présidenti­elle, l’échec de François Fillon a jeté une lumière crue sur les fissures, déjà maintes fois rafistolée­s, émaillant l’ancienne UMP. Alarmant ? Plus alarmant que les fois précédente­s ? « La droite risque l’implosion. » Cette noire perspectiv­e, qui ne l’a pas évoquée en 2012 au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy, accusé d’avoir laissé au « maurrassie­n Buisson » la pleine gestion de son cerveau ? Qui ne l’a pas répétée en novembre de la même année quand Copé et Fillon, la « droite décomplexé­e » et la droite à l’époque pondérée, se sont affrontés dans un combat cuisant pour la présidence de l’UMP ? On a, à tant de reprises, pressenti, soupçonné le schisme de cette « famille politique » , comme aimait à l’appeler Sarkozy, qu’on pourrait à présent être tenté d’en douter.

Sauf que. Il y a dans l’air de 2017 un petit parfum qui change tout. Les espoirs, les ambitions s’aiguisent à mesure que les responsabl­es politiques s’enivrent des effluves du macronisme ou, au contraire, s’en méfient comme de mauvais poisons. Celui qui a éjecté les deux partis de gouverneme­nt, le PS et LR, du premier tour du scrutin élyséen à seulement 39 ans, sans appartenir à aucun parti connu que celui qu’il a créé de toutes pièces un an plus tôt en agrégeant différente­s sensibilit­és, Emmanuel Macron donc, provoque dans les têtes des responsabl­es de droite de grands bouleverse­ments. « Et si c’était mortel ? » s’inquiètent certains. « Et si c’était possible ? » rêvent d’autres, enclins à enterrer cet étonnant attelage, l’ex-Union pour la majorité présidenti­elle, créée en 2002 pour faire cohabiter la droite du oui, progressis­te, libérale, et celle du non, souvent plus conservatr­ice sur les questions sociétales et secouée par une quête identitair­e, dans le but de contrer le Front national…

Car le premier tour de 2017 a eu un mérite : prouver à ceux qui en doutaient que la fracture idéologiqu­e qui fragilise le parti parcourt tout autant l’électorat de droite. Quand un gros tiers se dit prêt à voter Macron au second tour (plus de 40 %), plus de 30 % envisagent de se reporter vers Marine Le Pen. Sans compter ceux qui, dès le premier tour, ont apporté leur voix à l’un ou à l’autre. Il faut se rendre à l’évidence, l’électorat de droite, homogénéis­é par Sarkozy en 2007 grâce au triptyque « travail, responsabi­lité, autorité » , a laissé petit à petit place à deux droites, peut-être aussi « irréconcil­iables » que les deux gauches décrites par Manuel Valls. Conséquenc­e, formulée simplement par Thierry Solère, grand ordonnateu­r de la primaire de la droite : « On ne peut pas remettre dans le même parti des électeurs de Le Pen et des électeurs de Macron. »

Contrat ? Dans cette analyse, la droite modérée, qui a échoué à installer son candidat, Alain Juppé, dans la course à l’Elysée, voit sa renaissanc­e. Après un début de campagne passé à barguigner dans l’ombre de François Fillon, à endurer la présence de Sens commun et son discours traditiona­liste sur la famille, voire carrément régressif sur l’IVG, la droite « raisonnabl­e » , disent ses partisans, imagine pouvoir imposer à nouveau ses idées grâce à la victoire du social-démocrate Macron. « Sens commun a pris du pouvoir dans l’espace public, mais pas dans l’espace idéologiqu­e » ,

« On ne peut pas remettre dans le même parti des électeurs de Le Pen et des électeurs de Macron. » Thierry Solère

veut croire Benoist Apparu. Le succès d’un candidat défenseur d’une société ouverte, multicultu­relle, libérale, européenne et attachée au progrès, en prime allié avec le centriste Bayrou, beaucoup l’interprète­nt comme le triomphe du juppéisme, tout simplement. « La démarche intellectu­elle de Macron, c’est la démarche intellectu­elle de Juppé » , tranche sans détour Gilles Boyer, l’ex-directeur de campagne de Juppé. C’est si vrai que le chef, retiré sur son Aventin bordelais depuis sa défaite à la primaire, a même consenti un retour façon guide spirituel montrant à ses ouailles le chemin de la droite de demain. « On ne va pas s’enfermer dans une opposition stérile et systématiq­ue à Macron » , a-t-il lancé, ragaillard­i, à ses troupes lors d’une petite sauterie dans un bar parisien deux jours après le premier tour.

Signe que le message est enregistré, certains dans son entourage commencent à concevoir leur prise de distance avec Les Républicai­ns, voire leur collaborat­ion ou plutôt leur « coalition » avec Macron. C’est ce fidèle d’entre les fidèles jup-

péistes, pourtant encore candidat aux législativ­es sous l’étiquette LR, qui murmure en off et non sans humour : « Le parti radicalise et rétrécit sa base à chaque élection ; tirer comme conclusion de la défaite qu’il faut refaire la même chose est, je crois, la définition de la folie. » C’est Edouard Philippe, le maire du Havre, qui déclare : « Soit on considère que cette élection est un accident et qu’au-delà de la poussée du FN il reste un clivage gauche/droite, et alors dans ce cas on ne bouge pas… Soit on pense qu’il est en train de se passer quelque chose de très puissant dans le pays en termes de rénovation des pratiques politiques et de réorganisa­tion des clivages, et le fait que Macron ait presque réussi semble traduire tout cela, et alors… » Enfin, c’est Benoist Apparu qui interroge franchemen­t : « Est-ce que ces deux droites, moderne et conservatr­ice, sont irréconcil­iables et est-ce qu’il est utile de les réconcilie­r ? Est-ce qu’il faut deux partis pour que ces différence­s s’expriment, un parti conservate­ur et un parti libéral chrétien-démocrate et avoir enfin en France des structures partisanes qui correspond­ent aux structures mondiales ? » Le député de la

Marne fera mine de laisser la question en suspens, mais avoue déjà songer, comme d’autres dans son camp, à la signature d’ « un contrat de gouverneme­nt » avec Macron. Bruno Le Maire (voir interview p. 36) ne dit pas autre chose quand il assure : « S’il n’y a pas de majorité claire, cela voudra dire quoi ? Que les Franç ai s nous o nt di t : “Travail le z ensemble.” »

Machiavel. Leur idée paraît simple : former, au lendemain des législativ­es, une espèce de coalition gouverneme­ntale sur le modèle allemand SPD-CDU. Parce que « si Macron échoue, dans cinq ans, nous aurons le FN au pouvoir » , parce qu’ « il en va du redresseme­nt de la France » … Les tenants de cette ligne ne manquent pas d’arguments grandiloqu­ents. Preuve que le favori, sans cesse renvoyé à sa prétendue incapacité à hériter d’une majorité à l’Assemblée, voit aussi son intérêt dans la démarche ? « Il nous met la pression pour qu’on se serre les coudes pour faire la nique aux fachos », révèle un candidat LR dans un langage fleuri qui entérine bel et bien

VALÉRIE PÉCRESSE « Il y a deux forces centrifuge­s à droite, l’une qui veut effacer la notion de droite républicai­ne et l’autre qui veut effacer la frontière avec le FN. Moi je ne partirai ni dans un sens ni dans l’autre. » (au Point, le 1er mai) XAVIER BERTRAND « Les Républicai­ns ont l’obligation de se serrer les coudes et de remporter les législativ­es, parce qu’il vaut mieux le projet de la droite et du centre que le projet d’Emmanuel Macron. » (BFM, le 30 avril) CHRISTIAN ESTROSI « ll y a cinq grands sujets – l’emploi, la fiscalité, la compétitiv­ité, la lutte contre le terrorisme et celle pour la sécurité, et le financemen­t de l’innovation – sur lesquels je serais intéressé qu’il puisse y avoir une vision partagée. » ( Le Figaro, le 24 avril)

le divorce avec la droite conservatr­ice. Macron aurait rencontré en personne plusieurs candidats LR aux législativ­es, et leur aurait même, selon l’un d’entre eux, promis le bidouillag­e d’une étiquette « majorité présidenti­elle » à la place de la marque En Marche !, encore trop effrayante pour la droite. Son objectif : trouver un appui parlementa­ire en scindant le groupe LR. Mais l’accord est loin d’être signé. Les proches de Macron refusent, pour le moment, la perspectiv­e de candidats qui ne soient pas estampillé­s En Marche !

Décidément machiavéli­que, le candidat s’amuse aussi à laisser entendre que des responsabl­es de droite pourraient entrer dans son premier gouverneme­nt le 15 mai. De quoi finir de chambouler Les Républicai­ns. « Si mes copains sont ministres de Macron, je ne me vois

pas partir aux législativ­es contre un candidat En Marche ! » , admet un candidat LR tourneboul­é. Des proches de Juppé ont également été chargés chez l’ex-locataire de Bercy d’échafauder le pont entre le programme originel du candidat de la primaire de la droite et celui de Macron. Ainsi, Dominique Perben, pour la partie régalienne, et Pierre-Mathieu Duhamel, pour la partie économique, tentent de « juppéiser » le projet pour finir de convaincre leurs camarades restés sur l’autre rive. De leur côté, pour montrer leur bonne volonté au vainqueur du premier tour, quelques membres de cette droite démocrate-chrétienne à la française, dont certains s’étaient opp os é s vi o l e mment à la l oi El Khomri, n’hésitent plus à jurer micro ouvert qu’ils voteront sans hésiter la réforme du droit du tra- vail proposée par l’ancien ministre de Hollande.

Alors, bientôt la sécession ? Pas si vite… Comme toujours en politique, l’unanimité reste un Graal difficile à atteindre. Au sein même du groupe qui revendique haut et fort son vote Macron, il y a ceux, candidats aux législativ­es, qui craignent qu’un engagement trop voyant auprès d’un homme que Fillon appelait « Emmanuel Hollande » les coupe de leur électorat local. Puis il y a les autres, ambitieux, qui refusent de brouiller leur identité politique en se vendant à un ex-membre de la hollandie et qui fulminent aussi à l’idée de courber l’échine devant un jeunot apparu en politique il y a trois ans. Cité par Macron comme un allié potentiel, Xavier Bertrand prend soin d’afficher une réserve, mettant en garde ses amis « tentés de se dire “on va disparaîtr­e et se fondre dans une nouvelle histoire politique” ». Et le patron de la région Hauts-de-France de marteler : « Il faut qu’on redevienne nous-mêmes et que la droite et le centre occupent à nouveau un rôle central. »

NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET « Mon appel à voter pour Macron ne vaut pas ralliement. Mais dans un cas de figure où les Français choisiraie­nt une Assemblée sans majorité, il faudra faire avancer la France en votant certaines lois, utiles pour le pays. Je suis par exemple prête à soutenir une réforme du travail intelligen­te, un texte sur le travail des indépendan­ts, sur la fiscalité, sur l’interdicti­on du salafisme… » ( Le Monde, le 28 avril) ÉDOUARD PHILIPPE « Avec Alain Juppé, quand nous avons fondé l’UMP, c’était pour rassembler les droites et le centre. Mais ce pacte fondateur a-t-il encore un sens quand tous les centres sont partis et qu’une partie des droites tergiverse ? A-t-il encore un sens quand un bureau politique, face au danger d’une accession au pouvoir du FN, au lieu d’offrir une réponse républicai­ne vigoureuse, tortille pendant deux heures pour se demander s’il faut dire qu’on vote pour Emmanuel Macron ou contre Marine Le Pen ? » (au Point, le 28 avril) « Si mes copains sont ministres de Macron, je ne me vois pas partir aux législativ­es contre un candidat En Marche ! » Un candidat LR

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 ??  ?? Cellule de crise. François Baroin, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand et Bruno Le Maire lors du bureau politique des Républicai­ns, le 24 avril, au lendemain du premier tour et de l’éliminatio­n de François Fillon.
Cellule de crise. François Baroin, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand et Bruno Le Maire lors du bureau politique des Républicai­ns, le 24 avril, au lendemain du premier tour et de l’éliminatio­n de François Fillon.
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