« Un fort consensus chez les Nobel »
Mi-avril, la presse a publié une lettre de 25 Prix Nobel en économie dénonçant les effets nocifs d’un repli sur soi. Que peut apporter une telle initiative ? Jean Tirole :
Cette lettre contient des messages forts. Elle explique la nécessité de la coopération européenne non seulement pour exister dans les négociations internationales, mais aussi pour la croissance économique de nos pays. Elle rappelle également la dangerosité des politiques protectionnistes et de préférence nationale, le coût pour la France d’une sortie de l’euro ou les craintes infondées d’un impact économique négatif des migrants (à partir du moment où on est capable de les intégrer au monde du travail).
Peut-on parler d’un consensus économique ? « Nous avons tous conscience de la gravité de la situation. »
La signature par 25 Nobel, dont les 9 derniers lauréats, est inédite. Sachant qu’il y a 37 Prix Nobel d’économie vivants, que certains ne signent pas de lettres collectives par principe, que deux d’entre eux (George Akerlof et Paul Krugman) ne pouvaient s’associer à cette lettre pour des raisons légales, que d’autres n’ont pu répondre à temps… Cette lettre démontre un fort consensus, surtout connaissant la grande diversité des points de vue. Elle provient d’économistes aux sensibilités très différentes sur ces sujets complexes que sont la zone euro et la relance budgétaire, et représentant aussi un vaste éventail d’opinions dans le spectre politique. Même sur le sujet qui nous divise sans doute le plus, l’euro, il y a consensus sur le fait que décider d’entrer dans l’euro est une chose, en sortir une tout autre chose.
Vous-même avez dérogé à votre règle de ne pas signer de lettres collectives…
Il y a certes des difficultés inhérentes à l’exercice : la nécessité de rassembler un large groupe de signataires peut diluer le message ; la pression peut être forte pour apposer sa signature sur une lettre dont on approuve la tonalité générale mais pas des détails importants… Mais là, je ne suis pas le seul à avoir dérogé à ma règle de ne pas signer de lettres collectives. Simplement, nous avons tous conscience de la gravité de la situation. 24 des 25 signataires étant étrangers, le risque était non négligeable d’être accusés d’interférence, mais une telle accusation aurait été infondée. Parce qu’il faut bien faire émerger une opinion sur les mécanismes économiques qui ne soit pas que française. Et parce que certains des lauréats du Nobel d’économie ont été cités par des candidats à la présidentielle française, notamment par Marine Le Pen et ses équipes, pour justifier un programme politique sur l’Europe. Pour la bonne information des électeurs, nous voulions contredire l’affirmation erronée que de nombreux Prix Nobel soutiennent des politiques de repli sur soi