Le Point

Bénichou, plume d’or

Avec ses admirables « profils », Pierre Bénichou redonne vie à Aragon, Signoret, Ventura, Mitterrand…

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

Oiseau de nuit, pilier des « Grosses têtes » et fou d’Aragon, l’ami Pierre Bénichou fut d’abord un maître. Après notre entrée au Nouvel Observateu­r à quelques mois d’intervalle, au début des années 1970, Jean-Paul Enthoven et moi avons passé des heures dans son bureau. Une sorte d’amphithéât­re guère plus grand qu’un placard où le rédacteur en chef du journal nous dispensait, stylo à la main, d’interminab­les leçons de journalism­e.

C’est ainsi qu’est née ce qu’on pourrait appeler la génération Bénichou. Pierre avait la grâce et cherchait à la transmettr­e à Jean-Paul Enthoven, déjà le meilleur d’entre nous, à votre serviteur et à beaucoup d’autres. Il nous a appris la chasse aux adverbes et aux adjectifs : le beau style est celui qui, comme une eau pure, coule de source. Enseigner fut l’une de ses nombreuses fonctions, à L’Obs, avec celle de titreur et de nécrologue. C’était un temps où, rien que pour avoir le droit d’être enterré par lui, il valait la peine de mourir.

Ont eu cette veine tous ceux qui figurent dans « Les absents, levez le doigt ! », recueil des nécrolo- gies signées Pierre Bénichou, où il « croque » des grands morts qu’il a souvent connus de très près.

Ainsi l’avionneur Marcel Dassault, génie dadaïste qui, comme Marcel Proust, mit son « peu d’énergie au service d’une oeuvre unique » avant de se « payer le siècle » : propriétai­re de Jours de France, il convoqua une fois un jeune journalist­e, Pierre Bénichou, qui venait de commettre un bel article et, en récompense, lui offrit un… bonbon.

Ainsi Coluche, chez lequel il emmena plusieurs fois dîner l’auteur de ces lignes : notre comique national plaçait Bénichou à sa droite et mettait un petit magnétopho­ne devant lui pour enregistre­r ses délires et ses vannes, qu’il recyclait dans ses spectacles. Tout sauf avare, l’auteur de « Les absents, levez le doigt ! » a toujours beaucoup donné à tout le monde. Des formules, des titres, de bons mots.

Autant de détails qu’il omet parce qu’il ne se met pas en avant dans ce livre où défilent beaucoup d’anciens compagnons de ses jours et de ses nuits : Louis Aragon, Simone Signoret, Marguerite Duras, François Mitterrand, Serge Gainsbourg, Lino Ventura, Jean Cau, le grand méconnu, etc. Edité par Jean-Paul Enthoven, c’est le premier livre de Pierre Bénichou et sans doute le dernier, mais qu’importe : il ne pouvait écrire meilleur roman que sa vie.

Quand on est déjà un grand écrivain comme Bénichou, pourquoi faudrait-il écrire des livres comme tout le monde ?

« Les absents, levez le doigt ! », de Pierre Bénichou (Grasset, 144 p., 15,90 €).

C’était un temps où, rien que pour avoir le droit d’être enterré par Pierre Bénichou, il valait la peine de mourir.

 ??  ?? Généreux « croquemort­s ». Pierre Bénichou, portraitis­te et compagnon des grands témoins d’une époque qui s’enfuit…
Généreux « croquemort­s ». Pierre Bénichou, portraitis­te et compagnon des grands témoins d’une époque qui s’enfuit…

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