La nouvelle vague
Jean Sulpice et son épouse reprennent la mythique auberge de Talloires, sur le lac d’Annecy. Visite guidée.
Mètre après mètre, on mesure mieux l’émotion qui l’envahit. A chaque pas son excitation grandit. On a bonheur à le voir déambuler dans ce « lieu magique » avec les yeux scintillants d’un gosse sur le point de réaliser « le rêve de [sa] vie ». Il en frissonne rien que d’en parler. Il y pensait depuis si longtemps. Pas un jour ne s’écoulait sans qu’il songe à « cette folie ». Lui, le môme originaire du hameau de Barbizet à La Motte-Servolex, près d’Aix-les-Bains, a décidé de descendre des cimes enneigées de sa montagne de Savoie perchée à 2 300 mètres d’altitude pour gagner les rives de la Haute-Savoie. A 38 ans, voilà Jean Sulpice, auréolé de 2 étoiles dans l’établissement de ValThorens qui porte son nom, où il a effectué son dernier service le lundi 17 avril, à l’aube de poser ses casseroles au Père Bise, à Talloires.
« C’est la naissance de mon troisième enfant », s’enflamme ce papa de deux bambins, Paul, 8 ans, et Sophie, 4 ans. Après un chantier pharaonique de cinq mois – un record en la matière –, l’accouchement est prévu pour ce vendredi 5 mai avec l’inauguration de l’hôtel et du bistrot. Le baptême du feu sera suivi en guise de bouquet final par l’ouverture du restaurant gastronomique le jeudi 11 mai. « ValThorens était un défi où j’ai trouvé mon style de cuisine durant quinze ans, Talloires sera un aboutissement où je vais l’enrichir », confie sous un soleil de plomb le nouveau propriétaire, avec son épouse, Magali, de la mythique auberge familiale qui a vu le jour en 1903. « D’imaginer qu’elle souffle ses 114 bougies et qu’elle a vu défiler la reine d’Angleterre, Winston Churchill ou encore Jean-Paul Sartre, ça me donne la chair de poule » , s’extasie-t-il.
En reprenant cette sublime maison au bord du lac d’Annecy, cernée par la Tournette et les dents de Lanfon, Jean Sulpice entre dans une autre dimension. Mais hors de question pour celui qui a dîné ici à la fin de son apprentissage, en 1995 – « j’en étais ressorti émerveillé ! » –, de bouleverser la philosophie de ce Relais & Châ- teaux jusqu’alors dirigé par Sophie Bise et sa mère, Charlyne. « Je veux faire vivre l’esprit de François Bise. C’est une évolution, pas une révolution » , précise-t-il en présence de son architecte, Xavier Salerio. Rien ne se perd, rien ne se gagne, tout se transforme ! Les Sulpice veilleront toujours sur les 23 clés – 8 suites et 15 chambres en cours d’obtention 5 étoiles, de 20 à 80 mètres carrés – aménagées sur 4 étages désormais desservis par un ascenseur. Le couple en a rafraîchi 16 et rénové entièrement 7 en y apportant son empreinte, sa touche, sa jeunesse et du confort. La pierre bleue de Savoie au sol, les teintes bleu canard et vertes aux murs rappelleront les couleurs changeantes de l’onde des vagues. Clou du spectacle, la suite d’exception, avec son imposante terrasse de 100 mètres carrés et son Jacuzzi extérieur, offrira de son lit à baldaquin surélevé une vue panoramique à couper le souffle sur la baie accessible en bateau.
Dans ce paysage féerique où l’eau donne la main au ciel, on viendra d’abord pour savourer la cuisine de Jean Sulpice. Juste en face de l’épicerie fine, les gourmands prendront place au bistrot baptisé Le 1903 – en référence à l’année de la création du Père Bise –, façonné de vieilles poutres, de fenêtres avec des quadrillages