Manuel Valls, les soumis et les « collabos »
Les changements de mentalité, c’est comme la dérive des continents. Ils sont parfois si lents, si insidieux qu’on ne les perçoit pas avant de se réveiller, soudain, dans un monde qui n’a plus rien à voir avec le précédent.
Si les mots ont un sens, nous vivons aujourd’hui une nouvelle occupation, celle d’une bien-pensance de plus en plus pesante. Imposant ses commandements, ses tabous, ses phobies, elle a décrété l’interdiction des « amalgames » et des « stigmatisations », tant pis pour la vérité. L’actualité est là pour nous le rappeler. Trois exemples édifiants.
1) D’abord, le martyre de Sarah Halimi dans une HLM de Belleville, à Paris. Le 4 avril, cette femme juive de 65 ans a été rouée de coups sur son balcon puis jetée dans le vide par un voisin musulman de 27 ans, prénommé Kobili, qui s’était introduit chez elle par la fenêtre. Depuis quelque temps, elle se sentait menacée : traitée de « sale juive » par son futur assassin, elle avait déposé une demande de déménagement à l’office de Créteil.
La nuit du crime, Kobili l’a battue aux cris de « Allahou akbar » , entrecoupés de récitations de versets du Coran. La nature antisémite de ce crime ne devrait faire aucun doute. Et pourtant, si ! Malgré l’évidence, la justice et beaucoup de médias rechignent encore à parler d’antisémitisme, sous prétexte qu’il ne faut pas diviser davantage les communautés. Le réel nous gêne ? Eh bien, mettons vite un mouchoir dessus !
Une information judiciaire a été ouverte pour homicide volontaire sans retenir la préméditation ni le caractère antisémite du meurtre. Quant à l’enquête, elle avance à la vitesse d’une tortue dans les sables. Beaucoup moins vite, il va sans dire, que celle qui visait François Fillon. Mollesse dangereuse : évitement et inertie sont les meilleurs alliés de la barbarie. Dieu merci, depuis peu, grâce à la mobilisation de plusieurs intellectuels, pas mal d’yeux se sont dessillés.
2) Ensuite, le haro sur Manuel Valls. Depuis plusieurs semaines, l’ancien Premier ministre est la cible d’une campagne hystérique, d’une rare violence, de la part des islamo-gauchistes de la bonne presse, des « frondeurs » du PS, de La France insoumise ou de La République en marche, qui a fait battre son ami Malek Boutih aux législatives. Il vient d’annoncer qu’il quittait le Parti socialiste ; il siégera désormais à l’Assemblée nationale comme député apparenté au groupe La république en marche.
Pourquoi tant de haine ? Que Manuel Valls, ennemi public numéro un de tous les communautarismes, ait été élu seul contre tous aux dernières législatives, cela a encore accru le déchaînement. Sans doute le matador catalan paie-t-il d’avoir toujours fait preuve d’intransigeance sur des questions comme la république ou la laïcité, alors que la plupart des grands politiques, à commencer par le chef de l’Etat, entretiennent sur ces sujets un flou qui, hélas, n’est pas seulement artistique.
Raide et ténébreux, Manuel Valls semble souvent une nouvelle incarnation de Cambronne, lequel commandait l’un des derniers carrés à la bataille de Waterloo et aurait répondu au général britannique qui le sommait de capituler : « La garde meurt mais ne se rend pas. » C’est pourquoi nous avons tant besoin de l’ancien Premier ministre en ces temps de confusion mentale, quand tout est égal et que rien ne vaut rien.
3) La crucifixion de Jean Birnbaum. Auteur d’un excellent livre sur la gauche face au djihadisme, « Un silence religieux » (1), le patron du supplément littéraire du Monde s’est permis de critiquer, en partisan de l’universalisme, ce qu’il appelle à juste titre « le racisme antiraciste » en pointant, notamment, les élucubrations de Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR) : prétextant que la France vit sous la « domination postcoloniale des Blancs » , cette virulente militante franco-algérienne, obsédée par l’identité, n’hésite pas à flirter souvent, dans ses écrits, avec le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie.
Tollé contre Jean Birnbaum : plusieurs intellectuels ou écrivains comme Annie Ernaux ont aussitôt pétitionné dans Le Monde pour défendre Houria Bouteldja et dénoncer son odieux contempteur. Ainsi va la France : dans ce pays longtemps laïque, il devient de plus en plus compliqué, en tout cas à gauche, de mettre en cause une seule des trois religions monothéistes, l’islam, quasi sacralisée sous prétexte qu’elle serait celle des opprimés, des exploités, des offensés, l’islamophobie étant souvent mise sur le même plan que l’antisémitisme.
Montaigne, Montesquieu, Voltaire, réveillez-vous vite, ils sont devenus fous ! 1. Seuil.