Le big bang chimique est arrivé
Les perturbateurs endocriniens continuent leurs ravages. Cette fois, ce sont des chimpanzés ougandais que les pesticides mettent en danger.
Le
16 juin, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) qualifiait le bisphénol A de « substance of very high concern » , c’est-à-dire de « substance extrêmement préoccupante » . Et ce du fait de « ses propriétés de perturbateur endocrinien qui sont probablement à l’origine de sérieux effets sur la santé humaine » . Les perturbateurs endocriniens sont, on le sait, ces produits, présents entre autres dans les plastiques ou les pesticides, qui parasitent notre système hormonal, avec des effets sur la sphère reproductrice, mais pas seulement. Si la nouvelle concernant le bisphénol A a fait grand bruit médiatique, une autre concernant d’autres substances ayant des effets du même type n’a suscité que peu d’écho quelques semaines auparavant. Sans doute parce qu’elle n’intéresse pas directement l’humain, mais ses cousins grands singes.
A l’origine de l’étude concernée, parue dans Science of The To-
on trouve en particulier la primatologue Sabrina Krief, ainsi que Barbara Demeneix, spécialiste des effets des perturbateurs endocriniens. Ces deux chercheuses du Muséum ont constaté que nombre de chimpanzés du Parc national de Kibale, en Ouganda, présentaient des anomalies : narines atrophiées, lèvre fendue, membres difformes, faible pigmentation… A ces malformations s’ajoutent des troubles de la reproduction. Ces anomalies sont-elles congénitales ? D’origine génétique ? Peut-être, mais sans doute pas seulement. Car, dans la même zone, des babouins présentent aussi de sévères malformations nasales, similaires à celles des chimpanzés. Une coïncidence troublante qui a conduit à rechercher des causes environnementales, chimiques en particulier. Le constat est alarmant.
La forêt tropicale de moyenne montagne où vivent les singes est entourée d’une zone agricole très peuplée. Outre des cultures de maïs, on y trouve des plantations de thé, grosses consommatrices de pesticides, dont le glyphosate. L’enquête de terrain a permis de mettre en évidence des taux élevés de pesticides dans les sols, les rivières, les poissons… Le maïs, par exemple, s’avère particulièrement riche en chlorpyrifos, un insecticide fortement suspecté d’être un perturbateur endocrinien. De quoi intoxiquer humains et chimpanzés – lesquels, ainsi que les babouins, ne se privent pas d’aller chaparder du maïs à la lisière du parc.
On a là l’illustration d’une réalité de plus en plus documentée : le big bang chimique que nous imposons à la planète impacte non seulement les humains mais aussi la faune. Sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature, le chimpanzé est classé espèce en danger. Or, outre sa valeur intrinsèque évidente, il est une source de revenus pour les populations locales par le biais de l’écotourisme… Décidément, écologie et économie n’ont d’autre issue raisonnable que de se prendre mutuellement en compte
Biologiste. Auteur d’« A quoi ressemblerons-nous demain ? » (Flammarion).
Narines atrophiées, lèvre fendue, membres difformes, troubles de la reproduction… Un constat alarmant.