Deux « Antigone » pour Avignon
Le festival, qui débute le 6 juillet, offre à Sophocle la Cour d’honneur du palais des Papes et… une prison.
«I l est unique. » Olivier Py qualifie ainsi son alter ego japonais. Mais, comme Py, Satoshi Miyagi est metteur en scène et directeur d’un festival de théâtre à Shizuoka, au Japon, créé par des amoureux du Festival d’Avignon, et tous deux mettent en scène « Antigone », de Sophocle. Satoshi Miyagi ouvre le festival dans la Cour d’honneur du palais des Papes, tandis qu’Olivier Py présente son « Antigone » au centre pénitentiaire du Pontet puisque son spectacle est le résultat d’un atelier de théâtre qu’il anime avec des prisonniers. Et il est aussi difficile de trouver une place dans la Cour d’honneur que d’obtenir un laissez-passer pour entrer dans la prison. Rien d’étonnant à ce que ces deux pointures de la scène, l’un en Orient, l’autre en Occident, interrogent aujourd’hui l’une des pièces fondamentales du théâtre. L’« Antigone » de Sophocle choisit d’obéir aux lois des dieux plutôt qu’à celles des hommes : elle transgresse le décret interdisant d’enterrer son frère.
En 2017, cette Antigone, symbole de la résistance, nous parle. Pour Olivier Py, « elle est la figure du révolté. Les hommes avec qui j’ai travaillé la pièce sont sensibles aux questions de la loi des dieux, des hommes, de la République, du pouvoir religieux. Et aussi à l’agon, le combat dans la tragédie grecque. Ils sont très attachés à ce personnage. Je pourrais même parler d’identification ». Interpréter des rôles de femme lorsqu’on est un homme ? « Ça ne leur pose aucun problème. C’était ainsi du temps des Grecs puisque les femmes n’avaient pas le droit de jouer sur scène. » Pour Satoshi Miyagi, « Antigone connaît la valeur des humains, vivants ou morts. Mettre en scène cette pièce me permet de confronter la vision japonaise de la vie et de la mort à la conception qui divise les bons et les méchants de façon absolue. Aujourd’hui, parmi ces vents déchaînés qui ravagent le monde entier, se trouvent aussi les religions qui font le tri entre ceux du côté de Dieu et ceux du côté du diable. Antigone offre une nouvelle façon de penser les liens entre amis et ennemis ».
Côté mise en scène, deux extrêmes. Satoshi Miyagi, qui avait subjugué le festival en 2014 avec sa version fabuleuse du « Mahabharata », ose un dispositif délirant, l’immense scène de la cour disparaissant sous l’eau du fleuve Achéron, qui sépare notre monde de l’au-delà. Commentaire du directeur du Festival d’Avignon : « Pas facile, l’eau, côté technique. Elle s’évapore, coule… L’eau, c’est l’enfer. Mais ce sera magnifique. »
Lorsqu’il met en scène, comme il l’a fait souvent, les pièces d’Eschyle ou de Sophocle, lui recourt à la sobriété : décor minimal, deux ou trois protagonistes. Chez Satoshi Miyagi, le mur du palais sera un théâtre d’ombres gigantesques, semblable au Wayang kulit indonésien, avec quelques rochers, comme dans tout jardin zen. « Plusieurs acteurs et le choeur interprètent le même personnage. Nous tentons de mettre en scène la voix collective, celle des gens qui ont ressenti et pensé la même chose mais sans l’avoir exprimé. Une façon de s’adapter aux pièces écrites avant l’ego moderne. » Satoshi Miyagi ne semble pas inquiet. Il sourit, s’amuse. Le metteur en scène français apprécie son don pour le théâtre populaire : « Les thèmes qu’il traite sont essentiels et sans référence à une époque précise, ses pièces possèdent une beauté plastique indispensable à la Cour d’honneur. » Olivier Py se réjouit, car son festival, décidément, répond à ses voeux : « En Grèce ancienne, le théâtre était le lieu où la cité se réunissait, parce que la démocratie ne pouvait et ne peut vivre sans la culture. La démocratie n’existe que si le citoyen est suffisamment cultivé pour être lui-même le gardien de cette démocratie. » Antigone nous le rappellera
« Antigone », mise en scène de Satoshi Miyagi, les 6,7, 8, 10, 11 et 12 juillet, dans la Cour d’honneur.
« Antigone », mise en scène d’Olivier Py, le 10 juillet, au centre pénitentiaire du Pontet ; « Hamlet », autre atelier de théâtre du centre pénitentiaire animé par Olivier Py, les 20 et 21 juillet, à la Maison Jean-Vilar.