Le Point

Trudeau, le frère

Son aîné, Justin, est le Premier ministre du Canada. Lui a choisi une autre forme d’aventure. Rencontre.

- PAR SOPHIE PUJAS

Il porte l’un des noms qui agitent le plus aujourd’hui la sphère internatio­nale. Pourtant, Alexandre Trudeau, cadet de deux ans du Premier ministre canadien, a longtemps été le plus en vue de la fratrie. A 43 ans, cet homme souriant, moustache et regard bleu intense, a des allures d’éternel baroudeur. Documentar­iste, il a rapporté des reportages des quatre coins du monde. Un goût du voyage qu’il assure avoir hérité de son père, Pierre Elliott Trudeau (19192000), Premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984, et chef du Parti libéral pendant plus de quinze ans. Une figure phare de la vie publique canadienne, qu’il a longtemps vue comme un aventurier. « Mes meilleurs souvenirs d’enfance, c’était quand il nous racontait ses rencontres avec des bandits en Irak ou des pirates au Bangladesh ! » sourit Alexandre. Justin, lui, aurait davantage choisi l’héritage politique du patriarche. « Notre père avait quelque chose de jésuite : c’était un tenant du juste milieu. » C’est à ce père qu’il doit l’un de ses premiers voyages mémorables : la découverte de la Chine lorsqu’il avait 16 ans et Justin, 18. Un pays auquel il vient

de consacrer un récit, fruit de plusieurs voyages, « En Chine ». Dans ce livre alerte, nourri de rencontres saisies sur le vif, il fait le pari de raconter une nation paradoxale et effervesce­nte à travers ceux qui la vivent, de l’homme d’affaires incarnant le capitalism­e de la Chine nouvelle au paysan pétri d’une spirituali­té d’un autre temps. Il passe d’une dégustatio­n perplexe de serpents à une visite à l’atelier du dissident Ai Weiwei, superstar de l’art contempora­in : « Un vrai voyage est celui où on se perd, où le pays prend contrôle et vous fait vivre ce que vous avez à vivre » , lance-t-il.

Ce qu’il avait à vivre dans la plupart des pays où il a posé ses caméras, c’était une aventure engagée : au Darfour, en Irak ou au Liberia, il est allé à la rencontre de peuples en lutte ou en détresse. Il a fondé une société de production, JuJu Films, du nom de guerriers rencontrés au Kenya. « J’ai pratiqué le cinéma documentai­re comme une guérilla. » Aujourd’hui père de trois enfants, il a renoncé pour eux aux reportages en zone de guerre. Mais il a porté le combat sur le terrain de la lutte pour les libertés civiles, notamment pour réclamer la transparen­ce judiciaire dans les affaires d’individus soupçonnés d’accointanc­es terroriste­s, sujet de son documentai­re « Secure Freedom ». Il a ainsi soutenu Hassan Almrei, réfugié syrien emprisonné quatre années durant avant d’être libéré en 2009. « On emprisonna­it des réfugiés sur des soupçons secrets. C’est inadmissib­le pour un pays de droit comme le Canada ! » Quand son frère est arrivé au pouvoir, en 2015, il n’a pas voulu renoncer à ses habitudes de militant. Au point d’être accusé de conflit d’intérêts quand il a envoyé une lettre au ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, pour lui demander d’interrompr­e le processus de déportatio­n décidé contre Mohamed Harkat, un Algérien soupçonné par les services secrets canadiens d’être lié à une cellule dormante d’Al-Qaeda. De quoi embarrasse­r en haut lieu… « Les citoyens sont tentés de céder leurs droits quand ils ont peur. C’est pourquoi il faut rester vigilant et se souvenir que la justice appartient aux citoyens, pas à l’Etat. »

« Vagabond perpétuel ». L’idéaliste de la famille ? L’étiquette ne lui déplaît pas. « C’est facile d’être idéaliste tant qu’on ne fait pas de politique, qu’on est un vagabond perpétuel comme moi. Le Canada est une souris qui dort à côté d’un éléphant, et le gouverner ne va pas sans compromis nécessaire­s. » Si son récit de voyage a été un best-seller au Canada, il avoue que son statut de « frère de » n’y était pas pour rien. D’autant que le livre est sorti juste avant une visite officielle de Justin Trudeau en Chine. « Les gens voulaient comprendre davantage ce que pensent les Trudeau. » Il a d’ailleurs encouragé la carrière éclair de son frère. « Il a un talent pour les bains de foule, chose qui ne plaisait pas du tout à notre père. Depuis longtemps, Justin faisait des discours, participai­t à des congrès. J’ai fini par lui dire : “Tu fais déjà de la politique, fais-toi élire et cesse d’en faire un hobby !” » Quid du parallèle Macron/Trudeau qui séduit les médias français ? Alexandre sourit. « Il me semble que leurs parcours sont assez différents, mais ils ont en commun d’être jeunes et d’avoir surpris tout le monde en se faisant élire, c’est vrai. » Aujourd’hui, il dit vouloir garder ses distances avec la vie politique canadienne – sauf cas de première nécessité. Avant de glisser (le naturel revenant au galop ?) : « C’est peut-être un peu gênant que, désormais, les gens votent pour une marque. Pour Justin, la marque est bonne, j’y crois. Mais j’ai un côté très républicai­n et j’ai peur de toute forme de “branding” trop marqué, qui vire facilement à la monarchie… »

« En Chine », d’Alexandre Trudeau. Traduit de l’anglais (Canada) par Daniel Poliquin (Paulsen, 388 p., 21 €).

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 ??  ?? Enfants. Alexandre (à g., 4 ans et demi) et Justin (à dr., 6 ans et demi) avec leur père, Pierre Elliott Trudeau, en 1978. Héritiers. Avec Justin (à dr.), aux funéraille­s de leur père, en 2000.
Enfants. Alexandre (à g., 4 ans et demi) et Justin (à dr., 6 ans et demi) avec leur père, Pierre Elliott Trudeau, en 1978. Héritiers. Avec Justin (à dr.), aux funéraille­s de leur père, en 2000.

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