L’éveil aux sens de Bastien Vivès
Le talentueux auteur de « Polina » signe une superbe éducation sentimentale en noir et blanc.
Bastien Vivès est un Janus trifrons qui dévoile à ses lecteurs des visages contrastés : certains ne jurent que par le mangaka potache et déchaîné de « Lastman », quand d’autres plébiscitent ses petits formats iconoclastes et politiquement incorrects sur la famille, l’amour ou la guerre. Mais le noyau dur – et majoritairement féminin – de ses aficionados, à qui il doit ses succès emblématiques (« Le goût du chlore » et « Polina », adapté au cinéma par Angelin Preljocaj), aime surtout à s’égarer dans l’écriture plus intimiste, quasi naturaliste, du dessinateur. Ils ne seront pas déçus par « Une soeur », ode délicate à l’initiation érotique d’un garçon de 13 ans par une adolescente à peine plus âgée que lui. On songe au « Conte d’été » de Rohmer, pour les jeux de séduction au fil de déambulations sur les plages bretonnes, à « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson et à ses amoureux en herbe qui transgressent les limites, ou encore à « La puce » d’Emmanuelle Bercot, pour le traitement cru, mais poétique, de l’éveil à la sensualité. Il y a aussi, sans doute, du Vivès chez son héros Antoine, dont l’ennui estival est trompé par de longues séances de dessins de Pokémons. Ces insupportables bestioles, symbole du difficile arrachement au monde de l’enfance, vont d’ailleurs doucement s’effacer derrière de timides esquisses d’Hélène, plus réaliste. A cette soeur qu’il n’a jamais eue Vivès offre en noir et blanc la plus belle – et la plus provocante – des élégies « Une soeur », de Bastien Vivès (Casterman, 212 p., 20 €).