Des vacances avec Brel
«Ne nous quittons pas » n’est pas un thriller comme Jacques Expert aime en écrire, mais un récit autobiographique présenté comme un roman. Aucun suspense, même s’il y a des rebondissements.
Quand vous commencez ce livre, vous ne pouvez plus le lâcher. C’est écrit en Expert, une langue sobre. Il vous plante le décor en une phrase, et en voiture, Simone ! Il nous raconte son père, un « sacré loustic », en quatre journées et 72 chapitres, sans sortir de l’unité de lieu : la plage de Vieux-Boucau, non loin d’Hossegor, près de Soustons, dans le Sud-Ouest. Chaque année, pendant les vacances d’été, le petit Jacques et sa soeur y retrouvent pour une quinzaine de jours leur père divorcé qui, quand il ne court pas le guilledou, trône sur sa chaise de maître nageur, un oeil sur l’océan, l’autre sur les formes des jeunes femmes alanguies. C’est un homme léger, garagiste le reste de l’année, ins ou c i a n t , to u t e n mus cl e s (1,82 mètre pour 80 kilos). Ce livre est un superbe portrait de père, sur fond de nostalgie, de ciel bleu, de madeleines de Proust, de victoires de Jacques Anquetil au Tour de France. Il égrène des souvenirs qui nous rappellent les nôtres et nous parlent d’un temps où l’on prenait le temps et où tout était facile. Pensez ! Il suffisait de conduire une Gordini ou une Ford Mustang pour épater son monde. Les années passent, les vacances restent. Même si les portables ont, depuis, débarqué en force sur les plages, il y a quelque chose d’immuable dans le rite obligé et rasoir (c’est mon avis) des bains de soleil. Les serviettes, les odeurs d’huile solaire, les cris d’enfant et les courses dans les vagues.
A chaque page, le lecteur s’attend à voir débouler sur la plage François Mitterrand, qui fut un familier de Vieux-Boucau, mais c’est Jacques Brel et sa famille qui, un jour, à la stupéfaction générale, apparaîtront au sommet de la dune, tout de blanc vêtus. Simples et attentifs, ils feront de ces vacances « les plus extraordinaires » de toutes celles de l’enfance du narrateur. Le maître nageur fera tout pour que les Brel passent leur séjour « incognito » et deviendra même l’ami du grand chanteur belge, qu’il surveillera comme le lait sur le feu. Il ne se sentira plus. Jusqu’au dénouement, que je vous laisse découvrir. La morale de tout cela, c’est que, comme le disait précisément Jacques Brel, « on n’en finit pas de courir après les rêves qu’on a eus quand on était petit »
« Ne nous quittons pas », de Jacques Expert (Albin Michel, 298 p., 19,50 €).