A la conquête du monde
Déesses. Inspirations antiques ou asiatiques… Les collections Croisière dictent la nouvelle élégance.
La mode n’est définitivement plus rythmée par les saisons d’hiver et d’été. Il faut désormais compter sur les collections Croisière, remontant aux années 20, lorsque les Américains s’embarquaient pour les îles. Elles sont devenies depuis de véritables mini-fashion weeks. Et, comme ces collections restent longtemps en boutique (huit mois en général), elles sont cruciales et souvent spectaculaires.
Si Chanel a ouvert le bal en choisissant Paris, tandis que Dior installait son podium dans la mégalopole de Los Angeles et Gucci à Florence, la destination la plus exotique est sans conteste Kyoto, au Japon, élue par Louis Vuitton. « C’est un pays majeur : parmi les trois premiers avec les Etats-Unis et la Chine. Nous y avons 50 magasins que nous renouvelons et adaptons à raison de 8 par an en moyenne. Mais il ne suffit plus d’avoir un magasin dans la bonne rue pour séduire les millenials, qui veulent une autre expérience de shopping », souligne Michael Burke, PDG de la griffe. L’ex-malletier a opté pour un décor champêtre et futuriste : le musée Miho.
Situé sur les hauteurs de la ville, au sein d’une végétation luxuriante, le musée abrite une collection de plus de 2 000 antiquités. Il a été érigé en 1997 par l’architecte Ieoh Ming Pei, à qui l’on doit notamment la pyramide du Louvre. On y accède par un tunnel courbé en béton et un pont suspendu. Un lieu digne d’un décor de film, à mi-chemin entre « Avatar » et James Bond. « J’ai visité cet endroit il y a plus de cinq ans avec [le footballeur] Hidetoshi Nakata et Mina Fujita. J’avais trouvé une petite photo dans un magazine français, et c’était resté dans ma tête. Donc, quand l’idée d’une Croisière est arrivée, on a commencé à y réfléchir », livre Nicolas Ghesquière, directeur des collections féminines de Vuitton.
Sur le podium, les clins d’oeil au Japon étaient nombreux : ceintures obi de geisha revisitées, kimonos twistés, estampes figuratives ou encore vestes archi-
tecturées comme des armures de samouraï, réalisées en maille de cuir. Tout comme des références à la culture manga et des imprimés figurant des masques de kabuki, le théâtre traditionnel japonais, et autres gimmicks signés par le Japonais Kansai Yamamoto, à qui l’on doit les tenues de scènes spectaculaires de David Bowie, époque Ziggy Stardust. Il faut dire que, depuis la fin du XIXe siècle, la maison Louis Vuitton entretient des liens étroits avec le Japon, qui a notamment inspiré les motifs de la toile Monogram. Sans oublier une clientèle historiquement fan ou encore diverses collaborations avec des artistes nippons tels Yayoi Kusama, Rei Kawakubo ou Takashi Murakami. Une relation qui dure, à en croire Michael Burke. « Elle est sans doute liée à la force de l’artisanat. La naissance de Louis Vuitton, ce n’est pas le coup de crayon d’un styliste, c’est le travail du bois. Le bois, un élément essentiel au Japon : sa culture puise dans l’être, pas le paraître. La maison Vuitton se situe entre les deux et reste fidèle à ses origines, ce qui séduit les Japonais. De même, nous avons beaucoup appris de cette relation, notamment dans le service. »
Antique. Du Japon à la Grèce, il n’y a qu’un pas… ou presque. En effet, pour sa collection Croisière 2018, Chanel transcende les codes du monde hellénique, mais à Paris, dans la galerie Courbe du Grand Palais, avec des invités instantanément plongés dans un décor où l’antique devient la véritable modernité. La griffe, sous la houlette de Karl Lagerfeld, a pensé à une Grèce imaginaire, voire idéale, où le mythe n’est jamais loin. Un clin d’oeil à Gabrielle Chanel, qui imagina en 1922 les costumes d’« Antigone », de Sophocle, mis en scène par Jean Cocteau. D’autant que Karl Lagerfeld a toujours apprécié les détournements de codes – pour cette collection, ceux de l’Antiquité, comme la chouette d’Athéna : « Les critères de la beauté grecque archaïque, puis classique, sont toujours valables. On n’a jamais fait de plus belles silhouettes de femmes. Toute la Renaissance, d’ailleurs, est basée sur l’Antiquité. C’est vraiment la jeunesse du monde, puissante et imprévisible comme leurs dieux » , déclare-t-il. Les mannequins, coiffés de headbands tressés façon couronnes olym- piques, donnent vie à des drapés et des lignes fluides qui dessinent une silhouette de tweed et de jersey, de soie et de toile de lin. Les manches, aux épaules drapées ou froncées, structurent la ligne et répondent à une taille marquée ou ceinturée. Les plissés soleil s’inspirent des fûts de colonne, les motifs des mailles reprennent ceux des vases antiques et les frises des fresques. Le créateur pousse l’art du détail jusqu’aux boutons, gravés de chouettes – représentant la sagesse dans la mythologie –, de couronnes, de lauriers et de feuilles de chêne dans lesquels se cachent des camélias. Le blanc éclatant et le bleu franc des Cyclades glissent sur les tailleurs. Sans oublier les silhouettes, arrondies aux hanches à la manière d’une amphore. Ces symboles, associés au blé fétiche de Gabrielle Chanel, se retrouvent aussi sur les pièces de monnaie qui ornent un élégant petit sac du soir. Les franges brutes côtoient les bro-
deries précieuses, les spartiates à talons « colonne » ennoblissent la sandale grecque traditionnelle.
De Grèce il a bien failli être question avec Gucci. Le directeur artistique de la griffe, Alessandro Michele, avait souhaité le Parthénon comme décor. Le pays s’étant refusé à monnayer son patrimoine, le créateur a choisi Florence, autre berceau de la civilisation, mais également ville où la griffe fut fondée en 1921. Après la visite de la galerie des Offices, privatisée pour l’occasion, suivie de la traversée de l’Arno par le corridor de Vasari – construit au-dessus du Ponte Vecchio par la famille Médicis pour pouvoir aller et venir sans danger –, les convives ont pris place sous les ors des salons de la galerie Palatine du palais Pitti. Les mannequins, hommes et femmes, étaient presque tous coiffés de headbands rappelant les feuilles de laurier. Pour l’inspiration, Michele est allé chercher du côté d’une « Renaissance rock’n’roll » , selon ses dires. Au total, 115 looks ( !), qui mixent influences grecque, italienne, Brit’aristo déjanté, rock et baroque. Ici, une fourrure à manches bouffantes en toile monogramme, un hommage au détournement des logos au début des années 1990, à New York ; là, un pyjama de soie et turban assorti. On retient les nouveaux motifs animaliers tels que la tête de loup, le dragon ou le poisson d’eau douce. Les imprimés et broderies fleuris sont à l’honneur ; le strass et les paillettes sur des vestes ou des manteaux de princesse sont mâtinés de denim travaillé. Et les nouveaux objets du désir sont les vêtements estampillés « Guccy », un clin d’oeil à la mauvaise contrefaçon. Ou un pied de nez à l’industrie du luxe, qui se prend – souvent – un peu trop au sérieux ?
Légèreté. Si Florence est le fief historique de Gucci, Milan est la cité de Prada. La griffe y a organisé le premier défilé Croisière de son histoire. Au coeur de l’Observatoire, au sommet de la galerie Vittorio Emanuele II, Miuccia Prada a dévoilé un vestiaire empreint de légèreté et de féminité, à grand renfort de robes-chemises transparentes, de superpositions de voiles, de plumes et de jupes plissées aux coloris sucrés. Des looks ponctués de manteaux noirs ceinturés, dévoilant les épaules, et de détails sportswear : chaussettes de footballeur à motifs graphiques, sneakers à scratchs, blousons en Nylon XXL…
Changement complet de décor chez Dior. La maison, qui fête ses 70 ans