Le Point

Dominique de La Garanderie : « La morale l’emporte sur le droit »

L’ancienne bâtonnière du barreau de Paris déplore qu’un simple acte de procédure pénale puisse aujourd’hui imposer la démission d’un ministre.

- DROIT

Sommes-nous allés trop loin dans la transparen­ce ? Dominique de La Garanderie :

S’agissant de la transparen­ce au sens de la vérité et de l’absence de dissimulat­ion, on ne peut qu’y être favorable. Toutefois, cette société de transparen­ce a renforcé la défiance de l’opinion. Et la défiance est vite suivie de la délation. Il faut prendre la mesure des dérives de ce dangereux schéma tout particuliè­rement lorsqu’il a un effet sur le temps politique. Et laisser le temps judiciaire faire son oeuvre sereinemen­t…

Ce qui n’est pas le cas, puisque les enquêtes sont déclenchée­s instantané­ment. Autrement dit, le temps judiciaire tente de se synchronis­er au temps médiatique…

Il y a une articulati­on spécifique entre ces trois temps, à laquelle s’ajoute une réaction de la société puisque tout se déroule sous le regard du public. Le temps médiatique est r y t hmé par l a r é v é l a t i o n d e f a i t s q ui concernent un homme ou une femme politique, le journalist­e joue son rôle avec une informatio­n et vient à se transforme­r en lanceur d’alerte. La question fondamenta­le ici est : que se passe-t-il une fois cette révélation mise au jour ? On sait que la justice est lente, cela lui est souvent reproché, mais on assiste en même temps à un phénomène nouveau : face à ces révélation­s visant des personnali­tés politiques, le parquet s’adapte au tempo médiatique et à la réaction du public ainsi provoquée en déclenchan­t quasi instantané­ment une enquête préliminai­re. Autrement dit, dans ce type de circonstan­ces, le temps judiciaire est réglé différemme­nt du temps habituel.

Parce qu’il est sous pression ?

La justice, et plus particuliè­rement le parquet, est triplement sous pression, à commencer par la pression du public, de la société (« il n’y a pas de fumée sans feu »). Le politique reçoit en retour l’avis de l’opinion publique, qui est forcément négatif. La société actuelle n’est pas en état d’entendre qu’un homme politique conteste un fait ou déclare qu’il est dans son droit, ou même qu’il est de bonne foi, tout en restant à son poste. Il y a aussi la pression médiatique, de plus en plus prégnante. Et également une pression sur le politique qui affole la boussole judiciaire et entraîne une réaction immédiate, avant que la machine judiciaire ne ralentisse et ne reprenne son cours normal. Sauf qu’entre-temps des hommes et des femmes ont pris des décisions graves qui peut-être ne reposent sur rien. Dans bien des cas, comme l’attestent toutes les décisions de relaxe de personnali­tés politiques, la procédure n’aboutit pas. Autrefois, l’homme ou la femme politique attendait d’être condamné(e). Puis on a attendu l’éventuelle mise en examen, censée atténuer la violence du mot inculpatio­n, afin d’insister sur la présomptio­n d’innocence. On a fait très attention à la précision des mots, mais on considère aujourd’hui que, si le politique est mis en examen, il doit démissionn­er. Il est tout de même extrêmemen­t troublant de voir un simple acte de procédure pénale quasiment imposer une démission !

Comment, selon vous, un gouverneme­nt peut-il résister à la pression de l’opinion publique et à l’impact sur sa cote de popularité s’il ne prend pas immédiatem­ent des mesures pour écarter une personnali­té politique soupçonnée ?

« La morale est un concept contingent. Elle change au fil du temps. Elle n’est pas le droit. Dans un Etat de droit, l’incriminat­ion pénale, donc le jugement, ne peut résulter que de la loi. »

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