Simone Veil et Helmut Kohl, exercices pratiques
Deux immenses figures européennes viennent de disparaître. Les hommages sont à la hauteur de leur rôle historique. Mais le sommes-nous ? Et si l’on transposait leurs enseignements au temps présent ? Première leçon : oser afficher ses ambitions. En 2005, dans une interview au Point, Simone Veil livrait ses souvenirs de Helmut Kohl – et de son obsession pour la réunification avant même son accession à la chancellerie : « Dès 1981,
il ne parlait que de ça », disait-elle. A quels desseins audacieux nos dirigeants pensent-ils pour la prochaine décennie ? Mystère. Deuxième leçon : oser la générosité. En 1990, au moment de la réunification allemande, Kohl a pris cette décision folle : un mark de l’Est vaut un mark de l’Ouest. Un pari invraisemblable, aberrant d’un point de vue économique, mais un pari gagné au regard de l’Histoire. Une application concrète ? La Grèce. Athènes a triché sur ses comptes et préparé sa perte. Mais n’oublions pas qu’elle a aujourd’hui un large excédent budgétaire primaire (avant paiement de la charge de la dette), contrairement à la France. Elle a fait des efforts et mérite sans doute qu’on allège son fardeau. Surtout, l’Europe démontrerait ainsi qu’elle est une grande puissance, apte, comme l’Allemagne de 1990, à miser gros sur elle-même. De ce point de vue, l’annonce de la sortie du Fonds monétaire international du programme d’aide à la Grèce, sur fond de dissensions avec Bruxelles, est une excellente nouvelle. La présence du FMI était extraordinairement humiliante pour l’Europe, tant elle signait son incapacité à gérer seule un problème interne. Décider de soulager la Grèce sera difficile pour Berlin, dont l’opinion publique est très sensible à ce sujet. Mais Kohl, en 1990, avait fait fi des mécontents… Cela nous amène à la troisième leçon : oser braver l’opinion. L’interruption volontaire de grossesse telle que définie par la loi Veil n’était pas majoritaire dans les sondages à la veille de son vote. Pour autant, Simone Veil n’a rien lâché. Aujourd’hui, le rapport de forces est bien différent… A une époque où l’on se laisse volontiers aller dans le sens du vent en prenant les sondages non pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des données, mais pour des directeurs de conscience, ce rappel est utile. Simone Veil a conservé la même attitude en 2005, lors du débat sur la Constitution européenne. Elle répétait que qualifier l’Union de « trop libérale », c’était contester la philosophie même du traité de Rome. Elle ne se gênait pas pour prendre de front des partisans de l’« autre Europe », qu’elle décrivait comme un « gouvernement de Le Pen à
Bové » . Bref, alors que d’autres se tortillaient et mettaient en sourdine leurs convictions dans l’espoir – vain – d’amadouer le camp du « non », elle tenait durement ses positions, partant du principe, énoncé par Oscar Wilde, selon lequel « l’opinion publique n’existe que là où il n’y a pas d’idées » . Exercices pratiques possibles ? Pour la France, cela pourrait être tenir, coûte que coûte, les 3 % de déficit, en résistant aux braillards dénonçant déjà l’ « austérité » . S’obstiner, aussi, sur la loi Travail, en dépit des remous attendus. Enfin, prendre le risque politique de soutenir (un peu plus) l’Allemagne et l’Italie dans la crise des réfugiés. Du côté de Berlin, en dehors du cas grec, il pourrait s’agir de montrer enfin de la solidarité avec la France dans cette guerre sans nom au Sahel, malgré l’impopularité en Allemagne des interventions militaires extérieures. Tout cela est évidemment intimidant. Et si les hommages à Simone Veil et à Helmut Kohl devenaient des invitations au courage ?
Simone Veil tenait durement ses positions, partant du principe, énoncé par Oscar Wilde, selon lequel « l’opinion publique n’existe que là où il n’y a pas d’idées ».