Macron va-t-il devoir se « filloniser » ?
L’inquiétante situation financière dévoilée par la Cour des comptes pourrait contraindre le président à baisser plus fortement les dépenses publiques.
L’autosatisfaction des néodéputés macronistes ne va pas suffire à réduire miraculeusement le déficit public.
par Pierre-Antoine Delhommais
Ilest apparemment plus facile pour Emmanuel Macron de tourner la page politique du quinquennat de François Hollande que d’en refermer le chapitre économique. Le jour même où les nouveaux députés de La République en marche faisaient triomphalement leur entrée à l’Assemblée nationale, le ministère du Travail a annoncé que le nombre de chômeurs avait augmenté de 22 300 au mois de mai. Quarante-huit heures plus tard, alors que l’Elysée confirmait la venue du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, la Cour des comptes publiait son audit des finances publiques. Lequel étrille en long, en large et en travers la gestion budgétaire de fin de mandat de François Hollande, accuse le précédent gouvernement d’avoir présenté une loi de finances entachée d’ « insincérité » , en clair d’avoir sciemment traficoté les comptes en sous-estimant les dépenses et en surestimant les recettes. Faisant apparaître au bout du compte un trou de 8 milliards d’euros et une prévision de déficit de 3,2 % du PIB pour 2017, contre 2,8 % initialement annoncé. Il faut d’abord souhaiter que ces mauvaises nouvelles économiques mettent définitivement un terme aux tentatives un peu indécentes de procès en réhabilitation du quinquennat de François Hollande auxquelles on assiste depuis plusieurs semaines, qui affirment que l’économie française se porte en réalité beaucoup mieux qu’on le dit. Il faut surtout espérer qu’elles aideront à faire redescendre de leur petit nuage les jeunes et fringants députés – assez crispants aussi parfois – de la nouvelle majorité présidentielle, qui semblent persuadés que leur seule élection à l’Assemblée va permettre comme par enchantement de redresser l’économie du pays. Leur enthousiasme autosatisfait ne va malheureusement pas suffire à réduire miraculeusement le déficit public. L’audit de la Cour des comptes est en vérité moins surprenant par les révélations sur les dérapages budgétaires qu’il contient que par les réactions épouvantées que sa publication a suscitées. Tout le monde savait très bien depuis des mois – Emmanuel Macron le premier – que le précédent gouvernement avait ouvert son carnet de chèques et multiplié les dépenses, par conséquent que l’objectif de faire revenir sous le seuil des 3 % le déficit en 2017 était dans ces conditions devenu parfaitement irréaliste. Tout le monde savait très bien aussi – Emmanuel Macron le premier – que François Hollande avait dit une galéjade en affirmant aux Français, le 31 décembre 2016, lors de la présentation de ses derniers voeux : « Les comptes publics ont été rétablis. » « La situation de la France est loin d’être assainie » , viennent de répondre sèchement
à l’ancien chef de l’Etat les sages de la rue Cambon, constat de bon sens au vu de notre dette publique record de 2 147 milliards d’euros et du niveau de notre déficit, le deuxième plus élevé de toute l’Union européenne, derrière l’Espagne.
La colère indignée affichée par le Premier ministre, Edouard Philippe, après la publication de l’audit de la Cour des comptes apparaît également largement feinte. Elle est surtout destinée à justifier le train de mesures d’économies impopulaires que son gouvernement va devoir prendre pour tenter de redresser la barre et empêcher que le déficit ne dépasse cette année la barre fatidique des 3 % du PIB. En tant qu’ancien membre des Républicains, Edouard Philippe est particulièrement bien placé pour savoir que, de tous les candidats à l’élection présidentielle, François Fillon avait été le seul à s’alarmer du niveau de notre dette et à dénoncer les « bombes à retardement » budgétaires laissées par le gouvernement de Manuel Valls. En partageant le diagnostic et le pessimisme de François Fillon sur l’état de nos finances publiques, la Cour des comptes vient d’offrir au candidat de la droite une forme de revanche posthume.
Le candidat Emmanuel Macron s’était montré de son côté, durant la campagne présidentielle, beaucoup moins alarmiste sur le sujet, par peur sans doute, en évoquant l’éventualité d’un nécessaire tour de vis budgétaire après son élection, d’effaroucher son électorat venu de la gauche. Le voilà aujourd’hui, à l’Elysée, directement confronté à cette inquiétante réalité financière, décrite par la Cour des comptes, qu’il ne voulait pas voir et dont il ne voulait surtout pas parler. Ce qui va le conduire non seulement à renoncer provisoirement à certaines de ses promesses électorales de baisses d’impôts, mais aussi à s’engager plus vite que prévu, à un rythme accéléré, pour ne pas dire « filloniste », dans une politique de réduction des dépenses publiques aux allures d’austérité. Emmanuel Macron n’a aujourd’hui pas d’autre choix que de mettre la rigueur budgétaire en marche. Il sait que Mme Merkel, qui s’est jusqu’à présent montrée particulièrement bien intentionnée à son égard, le sera beaucoup moins s’il se montre à son tour incapable, comme ses prédécesseurs, de respecter les engagements européens de la France en matière de réduction des déficits