Le Point

Entre le chagrin et la pitié

Disparu en 2011, l’écrivain avait regardé le débat des « Dossiers de l’écran » après la diffusion de la série « Holocauste ».

- PAR FRANÇOIS NOURISSIER

Mardi dernier, lors du débat qui a suivi le dernier épisode d’« Holocauste » – débat tendu, parfois déroutant, souvent insoutenab­le –, une invitée a dominé toute la discussion et lui a donné sens : Mme Simone Veil. Face à des adolescent­s parfaiteme­nt incolores, parmi des personnali­tés dépassées par l’émotion qui les étreignait, Mme Veil a été écrasante de discrétion, éclatante de lucidité. Il ne s’agit pas ici d’ajouter quelque paragraphe à la bénéfique et surprenant­e « affaire Holocauste » , mais de considérer un instant Mme Veil. En quoi a-t-elle été si frappante ? En ceci qu’à aucun moment elle n’a prononcé une phrase, levé un regard qui pussent passer pour solliciter la pitié, l’admiration ou l’approbatio­n. Qu’il s’agît de distinguer, dans les camps, entre le sort des juifs, des Tziganes ou des autres déportés, de flétrir l’indifféren­ce ou la lâcheté des Français de l’époque, de rappeler que les plus hautes autorités alliées « savaient », que probableme­nt beaucoup d’Allemands savaient, Mme Veil a été également implacable. Elle l’a été pour dire que les bons sentiments ne régnaient pas dans les camps, mais l’humiliatio­n et la cruauté. Elle l’a été, enfin, avec une clarté salubre, en répondant à quelques questions saugrenues ou excitées des jeunes gens invités par Antenne 2 à visiter Auschwitz. Ah, ces questions ! Et ces visages, lisses, étonnés, vaguement gênés… L’un s’étonnait qu’on eût conservé en l’état tel ou tel camp – mais après avoir dit que seule sa visite lui avait ouvert les yeux… D’autres voulaient entraîner les anciens déportés à la polémique ou risquer des comparaiso­ns hasardeuse­s : une terreur en vaut une autre ; les auteurs du génocide sont parmi nous, etc. Mme Veil a choisi de répondre avec une sécheresse et un bon sens que l’on ose rarement pratiquer depuis dix ans. Prenant comme exemple le fameux slogan « CRS : SS » , elle a dit calmement – mais on sentait trembler sa colère – que non seulement certaines assimilati­ons sont choquantes et absurdes, mais qu’elles préparent les esprits, surtout les plus jeunes, à de nouvelles catastroph­es totalitair­es. Traiter tous ses adversaire­s de « nazis » et n’importe quel trublion de « Hitler » , c’est faire le lit d’un futur nazisme. Cela devait être enfin dit, et l’être dans un moment de gravité, d’émotion, d’attention qui auront, on l’espère, amplifié la résonance du message.Quand ce « Dossier de l’écran » a été terminé, j’ai longuement pensé à Mme Veil et à sa fameuse popularité. Son secret venait de nous être révélé : elle est totalement et toujours elle-même. Pas un frémisseme­nt de démagogie, pas une formule accommodan­te. Tout ce qui a secoué les Français dans le film « Le chagrin et la pitié », elle l’a répété tranquille­ment, sans daigner arrondir un angle. Il y a des personnage­s politiques qui se font de la rudesse un style et qui espèrent séduire ainsi les Français à rebrousse-poil. Mme Veil se place bien au-delà ou en decà de ces comédies. Elle a le tranchant d’une lame et ne daigne pas moucheter sa pointe ni remettre l’arme au fourreau. Jusqu’alors, sa franchise ne l’a pas desservie dans la faveur populaire. Ce sont là des signes qui donnent confiance en la démocratie, et je me suis senti assez fier d’être français puisque les Français, intuitivem­ent, ont choisi d’estimer cette femme-là

Président de l’académie Goncourt de 1996 à 2002, François Nourissier fut aussi un contribute­ur régulier du « Point ».

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